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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

La Révolution des Fourmis (76 page)

BOOK: La Révolution des Fourmis
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Autour de lui, des policiers bavardaient dans leurs
talkies-walkies. Maximilien consulta sa montre et s’empressa d’appuyer sur le
bouton de sa petite télévision fonctionnant sur l’allume-cigare.

— Bravo, madame Ramirez, vous avez découvert la
solution ! Applaudissements.

— C’était bien plus simple que je ne le pensais. Former
huit triangles avec seulement six allumettes, cela m’a paru vraiment
impossible. Et pourtant… Vous aviez raison, il suffisait de réfléchir.

Maximilien enragea. À quelques secondes près, il avait raté
la solution de l’énigme des triangles équilatéraux de taille égale.

— Bien, madame Ramirez, passons maintenant à l’énigme
suivante. Je vous préviens, elle est un peu plus épineuse que la précédente. En
voici l’énoncé. « J’apparais au début de la nuit et à la fin du matin. On
peut m’apercevoir deux fois dans l’année et on me distingue très bien en
regardant la lune. Qui suis-je ? »

Maximilien nota machinalement sur son calepin les données du
problème. Il aimait bien avoir une énigme en suspens dans sa tête.

Un policier interrompit sa rêverie en frappant à sa
portière.

— Ça y est, chef. On a retrouvé leur trace.

 

191. ILS SONT DES MILLIONS

 

Leurs pattes gravent la terre. La grande marche ne cesse
d’attirer du monde. Ils sont maintenant des millions d’insectes à avancer en
direction du pays des Doigts. Longtemps, les fourmis cheminent sur des contreforts
rocailleux et les anneaux d’écorce de racines affleurantes.

Princesse 103
e
perçoit l’immense esprit collectif
de leur troupe s’épanouir comme un animal conscient de gagner en influence et
pourtant anxieux de découvrir ce qu’il trouvera en face.

C’est un rendez-vous et, pour ce rendez-vous, les fourmis
savent qu’elles se doivent d’être au zénith de leurs talents.

Toutes éprouvent la sensation de participer aux minutes les
plus grandioses de la planète. Dans leur longue existence, les fourmis ont
certes déjà connu de grands moments planétaires. Il y a eu la mort des
dinosaures, mais cela a été confus et dispersé dans l’espace. Il y a eu la
défaite des termites, mais cela a été long et laborieux. Maintenant, il y a le
rendez-vous avec les Doigts.

Le dernier « grand rendez-vous ».

Avec leurs braises orange qui fument, les escargots donnent
à l’interminable procession la forme d’un serpent fait d’un pointillé de
lumières. Autour des coquilles qui lentement glissent, les ombres des petites
fourmis s’étalent dans les herbes.

Bien installée au faîte d’un escargot qui se dandine mais
qui bave abondamment, 7
e
entame sa fresque de la longue marche vers
les Doigts. Elle mouille sa griffe de salive puis la trempe dans des pigments
avant de dessiner des motifs sur la grande feuille qui lui sert de support.
Pour l’instant, elle se contente d’accumuler des esquisses de fourmis pour
donner une impression de foule.

 

192. LES TROIS ENFIN RÉUNIS

 

La première nuit dans la pyramide fut fort agréable.
Peut-être était-ce la fatigue, peut-être la forme de leur nid, peut-être la
protection de la couche de terre sur le toit, pour la première fois depuis
longtemps, Julie s’endormit presque sans peur.

Au matin, elle prit son petit déjeuner dans la salle à
manger commune, puis elle se promena dans la pyramide. Elle découvrit dans la
bibliothèque, posés sur une grande table, deux livres semblables au sien. Elle
contempla les premier et deuxième tomes de l’
Encyclopédie
, alla chercher
le troisième dans son sac à dos et revint le placer à côté des autres.

Les trois volumes étaient enfin réunis.

Il était étrange de penser que toute leur aventure avait été
déterminée par un homme qui, rien qu’en ayant écrit trois livres, parvenait à
influencer ceux qui lui survivaient.

Arthur Ramirez vint la rejoindre.

— J’étais sûr de vous trouver ici.

— Pourquoi a-t-il rédigé trois volumes ? Pourquoi
n’en a-t-il pas fait qu’un seul ? demanda Julie.

Arthur s’assit.

— Chacun des livres est consacré aux rapports avec une
civilisation ou un mode de pensée différents. Ils représentent les trois pas
vers la compréhension de l’Autre. Premier livre, première étape : la
découverte de l’existence de l’Autre et le premier contact. Deuxième livre,
deuxième étape : la confrontation avec l’Autre. Troisième livre, troisième
étape : si la confrontation s’est achevée sans victoire ni défaite de part
et d’autre, alors il est naturellement temps de passer à la coopération avec
l’Autre.

Il empila les trois volumes.

— Contact. Confrontation. Coopération : la
trilogie est close, la rencontre avec l’Autre est complète.
1 + 1 = 3…

Julie ouvrit le deuxième volume.

— Vous disiez que vous aviez construit la « Pierre
de Rosette », la machine à parler avec les fourmis, c’est vrai ?

Arthur acquiesça.

— Vous pouvez nous la montrer ?

Arthur hésita puis accepta. Julie appela ses amis. Le
vieillard les guida vers une pièce où des lumières tamisées éclairaient des
aquariums remplis de fleurs, de plantes ou de champignons. Il y avait aussi
tout un assemblage que Julie reconnut comme étant celui de la « Pierre de
Rosette », telle qu’elle était décrite par l’
Encyclopédie
.

Arthur alluma un ordinateur qui ronronna doucement.

— C’est l’ordinateur à « architecture
démocratique » dont parle l’
Encyclopédie
 ? demanda Francine.

Arthur approuva, content d’avoir affaire à des connaisseurs.
Julie reconnut le spectromètre de masse et le chromatographe. Au lieu de les
brancher à la suite comme elle l’avait fait, Arthur les branchait en parallèle,
si bien que l’analyse et la synthèse des molécules s’opéraient simultanément.
Julie comprit pourquoi son propre prototype n’avait pas fonctionné.

Il régla différentes manettes sur des tuyaux.

Les préparatifs terminés, Arthur se saisit délicatement
d’une fourmi et la déposa dans une boîte de verre transparente contenant une fourche
en plastique. L’insecte plaça d’instinct ses antennes contre les antennes
artificielles. Dans un micro, Arthur articula soigneusement :

— Dialogue souhaité entre humain et fourmi.

Il dut répéter plusieurs fois la phrase en réglant quelques
molettes. Les fioles de parfum libérèrent les gaz qui serviraient de phéromones
émettrices. Ils se rejoignirent avant d’être propulsés jusqu’aux antennes
artificielles. Il se produisit un grésillement dans les baffles et la voix
synthétique de l’ordinateur consentit enfin à répondre en langage auditif :

— 
Dialogue accepté
.

— Bonjour, fourmi 6 142
e
. J’ai ici des
gens de mon peuple qui veulent t’écouter parler.

Arthur effectua d’autres réglages pour améliorer la
réception.

— 
Quels gens
 ? demanda fourmi 6 142
e
.

— Des amis qui ne savent pas que nous sommes capables
de dialoguer.

— 
Quels amis
 ?

— Des invités.

— 
Quels invités
 ?

— Des…

Arthur commençait à perdre patience. Il reconnut cependant
qu’il était généralement très difficile de dialoguer avec les insectes. Ce
n’était pas la technique qui posait problème, non, on arrivait désormais à
dialoguer des deux côtés, c’était plutôt sur le sens qu’on ne s’entendait pas.

— Même si l’on parvient à parler à un animal, il n’est
pas dit qu’on comprenne son propos. Les fourmis n’ont pas la même perception du
monde que nous et il faut toujours tout redéfinir et décomposer jusqu’à sa plus
simple expression. Rien que pour faire comprendre le mot « table »,
il faut expliquer « support plat en bois, équipé de quatre pieds et
utilisé pour manger ». Nous utilisons, entre nous humains, une masse
énorme de sous-entendus et c’est en s’adressant à une autre espèce intelligente
qu’on s’aperçoit qu’on ne sait plus parler clairement.

Arthur précisa encore que cette 6 142
e
n’était pas à mettre au rang des plus stupides parmi les fourmis. Certaines ne
faisaient qu’émettre des « au secours » dès qu’il les plaçait dans la
boite à dialoguer.

— Cela dépend des individus.

Le vieil homme évoqua avec nostalgie 103
e
, une
fourmi extraordinairement douée qu’il avait connue jadis. Non seulement elle
entretenait des conversations avec un grand sens de la repartie mais elle
parvenait à saisir certains concepts abstraits typiquement humains.

— 103
e
, c’était le Marco Polo fourmi. Mais
plus encore que cet explorateur elle avait une ouverture d’esprit incroyable.
Sa curiosité était insatiable et elle n’entretenait presque aucun a priori sur
nous, se souvint Jonathan Wells.

— Et savez-vous comment elle nous appelait ?
soupira Arthur. Les « Doigts ». Parce que les fourmis ne nous voient
pas en entier. Tout ce qu’elles distinguent des humains, c’est le doigt qui
fonce vers elles pour les écraser.

— Quelle image elles doivent se faire de nous !
remarqua David.

— Justement, ce qu’il y avait de bien avec 103
e
,
c’était qu’elle voulait sincèrement savoir si nous étions des monstres ou des
« animaux sympathiques ». Je lui ai fabriqué une télévision à sa
mesure afin qu’elle voie les hommes en leur entier vaquer partout de par le
monde à leurs occupations.

Julie tenta d’imaginer le choc que cela avait dû être pour
la fourmi. C’était comme si on lui avait présenté à elle, d’un coup, la société
des fourmis vue de l’intérieur et sous une multitudes d’angles. Les guerres, le
commerce, l’industrie, les légendes…

Laetitia Wells alla chercher un portrait de cette fourmi
exceptionnelle. Les gens du troisième volume s’étonnèrent d’abord qu’un cliché
de fourmi puisse être différent d’un autre cliché de fourmi mais, à force de le
fixer, ils finirent par distinguer quelques traits particuliers dans le
« visage » de cette 103
e
.

Arthur s’assit.

— Joli profil, hein ? 103
e
était trop
aventurière, trop visionnaire, trop consciente de son rôle planétaire pour se
contenter de rester enfermée dans un aquarium à écouter nos blagues, à regarder
les films hollywoodiens romantiques, et à voir défiler les tableaux du Louvre.
Elle s’est évadée.

— Après tout ce que nous avions fait pour elle !
Nous pensions nous en être fait une amie, et elle nous a abandonnés, dit
Laetitia.

— C’est vrai, on s’est sentis orphelins de 103
e
.
Ensuite, nous avons réfléchi, reprit Arthur. Les fourmis sont des animaux
sauvages. Nous ne pourrons jamais les apprivoiser. Tous les êtres sur cette
planète sont libres et égaux en droits. Nous n’avions aucune raison de garder
103
e
prisonnière.

— Et où est-elle maintenant, cette fourmi si
spéciale ?

— Quelque part dans la vaste nature… Avant de s’en
aller, elle nous a laissé un message.

Arthur prit une coquille d’œuf de fourmi et la mit en
contact avec les antennes synthétiques. L’ordinateur traduisit le message
olfactif comme si l’œuf était vivant et s’adressait à eux.

 

Chers Doigts,

Ici, je ne suis d’aucune utilité.

Je pars dans la forêt pour avertir les miennes que vous
existez et que vous n’êtes ni des monstres ni des dieux.

Pour moi, vous n’êtes « qu’autre chose », de
parallèle à nous.

Nos deux civilisations doivent coopérer et je ferai tout
pour convaincre les miennes d’entrer en contact avec vous.

Essayez de faire de même de votre côté. Signé 103
e
.

 

— Elle parle drôlement bien notre langue, s’étonna
Julie.

— C’est l’ordinateur qui arrange les tournures des
phrases, mais il doit y avoir déperdition à la traduction, reconnut Laetitia.
Durant son séjour ici, 103
e
s’est donné beaucoup de mal pour
appréhender les principes de notre langage parlé. Elle a tout compris sauf,
selon son propre aveu, trois notions.

— Lesquelles ?

— L’humour, l’art, l’amour.

Les yeux mauves de Laetitia se posèrent sur le visage du
Coréen.

— Ces notions sont très difficiles à saisir pour des
non-humains. Les derniers temps, nous étions tous en train de collectionner des
blagues à l’intention de 103
e
, mais notre humour est trop « humain ».
Il aurait fallu que nous sachions s’il existe un humour typiquement myrmécéen.
Par exemple, des histoires de hannetons qui s’emmêlent les pattes dans des
toiles d’araignées ou de papillons qui décollent avec des ailes encore humides
et fripées et qui s’écrasent…

— Il y a là un vrai problème, reconnut Arthur.
Qu’est-ce qui peut bien faire rire une fourmi ?

Ils revinrent vers la machine à dialoguer et les fourmis
cobayes qui n’arrêtaient pas de s’agiter.

— Depuis l’évasion de 103
e
, on est bien
obligés de faire avec ce qu’on a, dit Arthur.

À la fourmi dans la boîte de verre, il demanda :

— Tu sais ce qu’est l’humour, toi ?

— 
Quel humour
 ? émit la fourmi.

 

193. LA GRANDE MARCHE

 

L’humour, ce doit être quelque chose d’extraordinaire
.

Dans la chaleur du bivouac, Princesse 103
e
évoque
pour ses compagnes un autre aspect du monde des géants qu’elles vont bientôt
rencontrer. Pour ne pas être écrasées par la chaleur, elles se sont regroupées
en une masse suspendue à une branche. Tout autour de la sexuée, la horde
entière de la grande marche s’est rassemblée en une sphère vivante, à l’écoute
de ses révélations.

À cause de l’humour, les Doigts sont secoués de spasmes
au récit d’histoires d’« Esquimaux sur la banquise » ou de
« mouche dont on coupe les ailes »
.

Les quelques mouches présentes ne relèvent pas.

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