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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

La Révolution des Fourmis (74 page)

BOOK: La Révolution des Fourmis
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Il expliqua que ce lieu existait grâce à l’
Encyclopédie
du Savoir Relatif et Absolu
d’Edmond Wells. C’était une habitude d’Edmond
Wells, faire des souterrains et des portes qui s’ouvrent avec des énigmes à
base d’allumettes et de triangles. Edmond Wells aimait bien creuser des
tanières et y cacher des secrets et des trésors.

— Je crois qu’au fond, c’était un grand enfant, dit le
vieil homme malicieusement.

— C’est lui qui avait placé le livre au fond du
tunnel ?

— Non, c’est moi. Edmond avait l’habitude de créer des
parcours pour accéder à ses antres. Par respect pour son œuvre, je l’ai imité.
Lorsque j’ai découvert le troisième volume de l’
Encyclopédie
, j’en ai
d’abord photocopié les pages puis j’ai déposé l’original à l’entrée de ma
tanière. J’étais convaincu que jamais personne ne le trouverait et puis, un
jour, j’ai constaté qu’il avait disparu. C’était vous, Julie, qui l’aviez
déniché. C’était donc à vous de prendre le relais.

Ils étaient dans une sorte d’étroit vestibule.

— Il y avait un mini-émetteur dans la valise. Je n’ai
pas eu de mal à vous identifier. Dès lors, mes fourmis espionnes ne vous ont
plus quittée, vous surveillant sans cesse de près ou de loin. Je voulais voir ce
que vous feriez avec le savoir de l’
Encyclopédie
d’Edmond Wells.

— Ah, c’est pour cela qu’une fourmi est venue se poser
sur ma main lors du discours du premier jour !

Arthur sourit avec bienveillance.

— Votre interprétation de la pensée d’Edmond Wells est
ma foi assez « piquante ». Ici, grâce aux fourmis volantes espionnes,
on disposait de toutes les images de votre « Révolution des fourmis ».

— Heureusement, car si vous aviez dû attendre que les
journalistes en parlent à la télé ! dit David désabusé.

— On suivait cela comme un feuilleton. Avec mes petites
fourmis espionnes téléguidées, on repère ce qui n’attire pas l’attention des
médias.

— Mais vous, qui êtes-vous ?

Arthur narra son histoire.

Il avait été jadis spécialiste en robotique. Il avait
imaginé pour l’armée des loups robots de guerre téléguidés. Ces machines
permettaient aux pays riches soucieux d’économiser leurs propres vies humaines
de faire la guerre aux pays pauvres surpeuplés, lesquels envoyaient volontiers
à la mort leurs surplus de bouches à nourrir. Il avait constaté cependant que
les soldats chargés de manier les loups étaient pris de frénésie et tuaient à
tour de bras comme s’ils se croyaient dans un jeu vidéo. Écœuré, il avait
démissionné et ouvert un magasin de jouets : « Chez Arthur, le Roi
des jouets ». Ses talents de roboticien lui avaient permis d’inventer des
poupées parlantes qui réconfortaient les enfants mieux que de vrais parents.
C’étaient des mini-robots, munis d’une voix synthétique et d’un programme
informatique adaptant leurs réponses au discours de l’enfant. Il avait pensé,
avec ses peluches rassurantes, que toute une génération grandirait moins
stressée que les précédentes.

— La guerre, c’est essentiellement une histoire de gens
mal éduqués. J’espère que mes petites peluches participent déjà à un début
d’éducation correcte.

Un jour, un colis lui était parvenu par erreur, le postier
s’était sans doute trompé dans son circuit de distribution. Or, il contenait le
second volume de l’
Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu
et était
destiné à Laetitia Wells, la fille unique du professeur ; un message
précisait que ce serait là son seul héritage. Arthur et Juliette, son épouse,
avaient immédiatement pensé lui faire suivre l’ouvrage, mais leur curiosité
avait été la plus forte. Ils l’avaient d’abord feuilleté. Le livre parlait de
fourmis, certes, mais aussi de sociologie, de philosophie, de biologie et
surtout de compréhension entre différentes civilisations et de la place de
l’homme dans le temps et dans l’espace.

Passionné par les propos d’Edmond Wells, Arthur s’était
lancé dans la fabrication de la fameuse machine à traduire le langage olfactif
fourmi en langage parlé humain, dite « Pierre de Rosette ». Il était
ainsi parvenu à dialoguer avec des insectes et, plus particulièrement, avec une
fourmi très évoluée nommée 103
e
.

Ensuite, aidé de Laetitia Wells, la fille du savant, d’un
policier qui s’appelait Jacques Méliès, ainsi que du ministre de la Recherche
de l’époque, Raphaël Hisaud, il avait contacté le président de la République
pour tenter de le convaincre d’ouvrir une ambassade formico-humaine.

— C’est donc vous qui avez envoyé la lettre d’Edmond
Wells ? interrogea Julie.

— Oui. Je n’ai fait que la recopier. Elle se trouvait
déjà dans l’
Encyclopédie
.

La jeune fille aux yeux gris clair savait le peu de crédit
qui avait été accordé à sa missive, mais elle s’abstint de lui signaler que son
envoi constituait désormais un sujet de plaisanterie lors des réceptions
mondaines en l’honneur de plénipotentiaires étrangers.

Arthur admit que le Président ne lui avait jamais répondu et
que le ministre qui avait soutenu son projet avait été contraint à la
démission. Dès lors, il avait voué tout ce qu’il lui restait d’énergie à
relever ce défi : l’inauguration d’une ambassade formico-humaine qui
permettrait enfin aux deux civilisations de coopérer pour le bien de tous.

— C’est vous aussi qui avez construit ce
terrier-ci ? demanda Julie pour changer de sujet.

Il acquiesça en précisant que s’ils étaient venus, ne
serait-ce qu’une semaine plus tôt, ils auraient constaté que, de l’extérieur,
l’endroit ressemblait davantage à une pyramide.

La pièce où avaient débouché Julie et David n’était qu’un
vestibule. Plus loin, une porte ouvrait sur une pièce plus large. C’était une
grande salle ronde avec, au centre, flottant à trois mètres de haut, une sphère
de lumière d’environ cinquante centimètres de diamètre. L’éclairage provenait
d’une fine colonne de verre grimpant jusqu’au sommet du plafond pointu, et qui
apportait à l’intérieur de la pyramide l’éclat naturel du jour.

Autour, disposés en cercle, il y avait des modules de
laboratoire où s’empilaient des machines complexes, des ordinateurs, des
bureaux.

— Les engins de la grande salle sont des machines
communes qui peuvent se connecter entre elles. Les portes que vous voyez ici et
là donnent sur des laboratoires où mes amis travaillent à des projets exigeant
plus de tranquillité.

Arthur désigna de la main une coursive, au-dessus d’eux,
elle aussi truffée de portes.

— Il y a en tout trois étages. Au premier, on
travaille, on effectue des expériences, on teste des projets. Au second, on vit
en commun, on se repose. C’est là que se trouvent les salles à manger et celles
consacrées aux loisirs ainsi que les réserves alimentaires. Au troisième,
enfin, sont installés les dortoirs.

Plusieurs personnes sortirent des laboratoires pour venir se
présenter aux « révolutionnaires des fourmis ». Il y avait là
Jonathan Wells, le neveu d’Edmond, ainsi que son épouse Lucie, leur fils
Nicolas et Grand-Mère Augusta Wells. Il y avait aussi le Pr Rosenfeld, le
chercheur Jason Bragel ainsi que les policiers et les pompiers qui s’étaient
lancés à leur recherche
[1]
.

Ils se présentèrent comme les « gens du premier volume »
de l’
Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu
.

Laetitia Wells, Jacques Méliès et Raphaël Hisaud, tout comme
Arthur Ramirez d’ailleurs, étaient pour leur part « ceux du deuxième
volume
[2]
 ».
Il y avait vingt et une personnes dans les lieux, auxquelles venaient s’ajouter
Julie et ses six amis.

— Pour nous, vous êtes les « gens du troisième
volume », déclara Augusta Wells.

Jonathan Wells expliqua qu’après le désintérêt suscité par
leur proposition d’une ambassade formico-humaine, les gens des premier et
deuxième volumes avaient décidé de s’isoler du monde en restant ensemble, afin
de préparer les conditions de l’indispensable rencontre. Dans la plus grande
discrétion, choisissant un endroit particulièrement touffu de la forêt, ils
avaient érigé une pyramide de vingt mètres de haut. Dix-sept mètres étaient
enfouis sous terre et trois mètres dépassaient du sol, un peu comme un iceberg
dont seule la pointe émergerait. Voilà qui expliquait que l’endroit soit si
grand pour une pyramide si petite. Afin de camoufler la partie exposée, ils
l’avaient recouverte de plaques de miroir.

Dans ce refuge essentiellement souterrain, ils pouvaient se
livrer tranquillement à leurs recherches, perfectionner les moyens de
communication avec les myrmécéennes et fabriquer ces fourmis volantes
téléguidées qui protégeaient la pyramide des gêneurs.

En hiver, pourtant, l’inévitable chute des feuilles avait
dévoilé la pyramide. Ses habitants avaient attendu avec impatience le printemps
et la repousse mais ils n’étaient pas arrivés assez vite pour préserver
l’édifice de la curiosité du père de Julie.

— C’est vous qui l’avez tué ?

Arthur baissa les yeux.

— C’est un regrettable accident. Je n’avais pas encore
eu l’occasion de tester les dards-seringues à effet somnifère de mes fourmis
volantes. Quand votre père s’est approché, j’ai craint qu’il ne révèle aux
autorités l’existence de notre bâtiment. Je me suis affolé. J’ai lancé sur lui
un de mes insectes téléguidés qui lui a inoculé un anesthésiant.

Le vieil homme soupira et caressa sa barbe blanche.

— Il s’agissait d’un anesthésiant couramment utilisé en
chirurgie et je ne pensais pas qu’il puisse être mortel. Je voulais juste
endormir ce promeneur qui s’intéressait trop à nous. J’ai dû commettre une
erreur de dosage.

Julie hocha la tête.

— Ce n’est pas cela. Vous l’ignoriez ; mon père
était allergique aux anesthésiants contenant de l’éthylchlorène.

Arthur était surpris que la jeune fille ne lui en veuille
pas davantage.

Il reprit son récit. Les habitants de la pyramide avaient
installé des caméras vidéo dans les arbres avoisinants. Ils avaient ainsi vu
que le badaud trop curieux était mort. Avant qu’ils n’aient pu sortir pour
éloigner le cadavre, le chien avait alerté un autre promeneur qui lui-même
avait prévenu la police.

Quelques jours plus tard, un policier était venu rôder
autour de l’édifice. Il avait réussi à se débarrasser des fourmis volantes en
les écrasant de sa semelle et avait rameuté une équipe d’artificiers pour
dynamiter les parois.

— En fin de compte, c’est vous qui nous avez sauvés
avec votre « Révolution des fourmis », annonça Jonathan Wells. Ce
n’était plus qu’une question de secondes quand vous avez créé la diversion qui
a éloigné le policier.

Normalement, les gens de la pyramide forestière auraient dû
profiter de ce répit pour déménager. Mais il y avait trop de matériel lourd
installé.

— C’est en nous branchant sur votre serveur
« Révolution des fourmis » que nous avons trouvé la solution,
expliqua Laetitia Wells. Une maison incluse dans une colline, quelle formidable
idée de camouflage !

— Nous n’avions pas besoin de creuser la maison dans la
colline, il nous suffisait de transformer notre pyramide en colline en la
recouvrant de sable.

Ji-woong intervint :

— C’était une idée de Léopold mais, en fait, elle est
très ancienne. Dans mon pays, la Corée, au premier siècle après J.C., les rois
de la civilisation de Paikche avaient construit des tombes géantes pyramidales
à la manière des pharaons égyptiens. Comme tout le monde savait qu’elles
recelaient les richesses et les bijoux des défunts, elles étaient régulièrement
pillées. Alors, les souverains et leurs architectes ont imaginé de les
recouvrir de terre afin de les dissimuler. Ainsi, les tombes se confondaient
avec les collines et il aurait fallu aux éventuels pillards creuser toutes les
collines du pays pour mettre la main sur les trésors funéraires.

— Nous avons donc profité de ce que la police était
occupée au lycée pour recouvrir notre pyramide de terre. En quatre jours, tout
était terminé, conclut Laetitia.

— Vous avez fait ça à la main ?

— Non. Arthur, notre bricoleur de service, a des robots
capables de travailler très vite et de nuit.

— J’ai placé ensuite un arbre creux contenant une
colonne de verre au sommet afin que nous bénéficiions de la lumière du jour par
la pointe ; Lucie et Laetitia ont décoré notre colline d’arbustes arrachés
et replantés afin de donner à l’ensemble un aspect sauvage.

— Ce n’est pas facile de disposer des arbres de façon
totalement anarchique. Naturellement, on a tendance à les aligner, dit
Laetitia. Mais nous y sommes parvenues. À présent, nous vivons sous terre, dans
notre « nid », à l’abri du monde.

— Chez nous, les Navajos, intervint Léopold, on prétend
que la terre protège de tous les dangers. Lorsque quelqu’un tombe malade, on
l’enfouit dans la terre jusqu’au cou, en laissant seulement dépasser la tête.
La terre est notre mère et il est normal qu’elle nous protège et nous guérisse.

Arthur demeurait quand même perplexe.

— Espérons que lorsque ce policier fouineur reviendra,
il ne déjouera pas notre stratagème…

Le vieil homme poursuivit sa visite guidée du « nid ».
L’électricité parvenait dans la pyramide au moyen de centaines de feuilles
artificielles équipées de cellules photoélectriques, placées au faîte des
arbres surmontant la colline et en tout point semblables aux vraies, nervures
comprises. Ainsi, ils disposaient d’une énergie suffisante pour faire
fonctionner toutes leurs machines.

— Quand il fait nuit, vous n’avez plus
d’électricité ?

— Si, car nous avons aussi installé de gros
condensateurs qui la stockent.

— Vous disposez d’eau douce ? demanda David.

— Oui, il y a une rivière souterraine à proximité. Il
n’a pas été difficile de la canaliser jusqu’ici.

— De même, nous avons élaboré un réseau de tuyauteries
pour assurer la bonne aération du bâtiment, dit Jonathan Wells.

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