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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

La Révolution des Fourmis (73 page)

BOOK: La Révolution des Fourmis
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Benoît Mandelbrot nous
permet d’affirmer qu’il n’est pas, dans l’absolu, une seule information
scientifique certaine, que l’attitude la plus juste, chez un honnête homme
moderne, consiste à accepter en tout savoir une part énorme d’inexactitude,
laquelle sera réduite par la génération suivante mais jamais complètement
éliminée.

 

Edmond Wells,

Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu
, tome III.

 

183. LA GRANDE MARCHE

 

Dès l’aube, les préparatifs de départ accaparent la
Nouvelle-Bel-o-kan tout entière. Partout dans la Cité, on ne parle que de la
grande marche pacifique vers les Doigts.

Cette fois, ce n’est plus une seule fourmi mais toute une
foule qui s’en va à la rencontre de la dimension supérieure, à la rencontre des
Doigts… à la rencontre des dieux peut-être.

Dans la salle des soldates, chacune remplit sa poche à acide
formique.

Tu crois vraiment que les Doigts existent
 ?

Une guerrière secoue la tête, perplexe. Elle reconnaît
n’être pas totalement convaincue mais elle émet que le seul moyen de le savoir,
c’est précisément d’aller jusqu’au bout de cette marche. Si les Doigts
n’existent pas, elles reviendront tout bonnement à la Nouvelle-Bel-o-kan
continuer ce qu’elles ont commencé.

Plus loin, d’autres fourmis discutent avec encore plus
d’acharnement.

Tu crois que les Doigts accepteront de nous considérer
comme leurs égales
 ?

L’autre se gratte la racine des antennes.

S’ils n’acceptent pas, ce sera la guerre et nous nous
défendrons jusqu’au bout
.

À la surface, on prépare les escargots au voyage. Ces
énormes pachydermes baveux sont décidément les meilleurs caravaniers possible.
Ils sont peut-être lents mais ils sont tout terrain et si jamais les fourmis
connaissent une période de disette, un seul d’entre eux suffira à en nourrir
une multitude. Alors qu’on les couvre de bagages, ils bâillent, déployant leur
vingt-cinq mille six cents petites dents.

On charge les escargots de très lourds fardeaux, de braises
chaudes, de réserves de nourriture.

Autour de la Nouvelle-Bel-o-kan les pèlerins s’alignent.

Sur certains, on charge des œufs creux qui font office
d’amphores pleines à ras bord d’hydromel. Les fourmis se sont en effet aperçues
que, consommé à petites doses, cet alcool de miel permet de mieux résister au
froid de la nuit et donne du courage dans les duels.

Sur d’autres escargots encore, on charge des
fourmis-citernes, ces fameux insectes immobiles gavés de miellat au point que
leur abdomen est cinquante fois plus volumineux que le reste de leur corps et
distendu comme un ballon.

Il y a là suffisamment de nourriture pour tenir deux hibernations
,
s’exclame Prince 24
e
.

Princesse 103
e
répond qu’ayant traversé le
désert, elle sait que manquer de nourriture peut suffire à anéantir la plus
efficiente des expéditions et, comme elle n’est pas sûre que le trajet soit
giboyeux sur tout son long, elle préfère prendre ses précautions.

Au-dessus des fourmis affairées aux préparatifs, de
nouvelles escadrilles de guêpes et d’abeilles veillent à ce que nulle espèce ne
profite des circonstances pour les attaquer.

7
e
installe sur son escargot-de-l’art une longue
feuille de chanvre avec laquelle elle a l’intention de réaliser une tapisserie
qui racontera leur longue marche vers le pays des Doigts. Elle entrepose aussi
quelques pigments pour colorier sa fresque : du pollen, du sang de
coléoptère et de la poudre de sciure.

Le plus grand désordre règne devant la troisième entrée de
la Nouvelle-Bel-o-kan où toute une foule s’organise et se regroupe par peuple,
par caste, par laboratoire d’étude ou par escargot.

Les ouvrières de la caste des ingénieurs consolident les
harnachements herbeux qui serviront à maintenir les cailloux remplis de
braises. Ce n’est pas tellement qu’elles craignent de provoquer un incendie,
elles ont surtout peur de perdre leurs braises. D’ailleurs, elles emportent
aussi du petit bois sec pour les nourrir. Elles savent que le feu est un animal
vorace.

Enfin, tout le monde est prêt et la température suffisamment
chaude pour se mettre en marche. Une antenne se dresse.

En avant
.

L’immense caravane d’au moins sept cent mille individus
s’ébranle. Les fourmis éclaireuses sont aux premiers rangs, disposées en
triangle. Elles se relaient à l’avant de la procession pour rester toujours
l’antenne fraîche. C’est comme si la truffe de ce long animal était sans cesse
renouvelée.

Derrière les éclaireuses se trouvent des soldates fourmis
rousses de la caste des artilleuses. Si les éclaireuses donnent l’alerte, ces
dernières se mettront automatiquement en position de tir. Vient ensuite le
premier escargot. C’est un escargot de guerre avec son chargement de braise
fumante. Plusieurs artilleuses sont prêtes à tirer du haut de ce promontoire
mobile.

Puis viennent les troupes de soldates d’infanterie, prêtes à
charger au pas de course. Ces soldates vont aussi chasser dans les alentours
pour nourrir l’ensemble de la procession.

Derrière on trouve le deuxième escargot. Lui aussi est
recouvert de braises fumantes et d’artilleuses.

Puis marchent plusieurs légions étrangères. Fourmis rouges,
noires et jaunes pour l’essentiel.

Ce n’est que vers le centre de la procession qu’on trouve
les ouvrières ingénieurs et les ouvrières artistes.

Princesse 103
e
et Prince 24
e
ont leur
propre escargot de voyage, ce qui leur permet de ne pas trop s’épuiser en
marchant.

Enfin, en queue de procession, on retrouve une légion
d’artilleuses, et deux escargots de guerre prêts à défendre l’arrière de la
troupe.

Des soldates courent sur les flancs, encourageant les
marcheuses, contrôlant les zones suspectes, maintenant la cohésion de la
marche. 5
e
et ses comparses surveillent les surveillants, guident
les guides. Elles sont les véritables promoteurs de cette marche.

Toutes ont l’impression d’accomplir quelque chose de très
important pour leur espèce. Sous la masse de cette troupe, le sol tremble,
l’herbe ploie, même les arbres ne sont pas indifférents. Jamais, de mémoire
d’arbre, on n’a vu autant de fourmis réunies pour cheminer ensemble dans la
même direction. Jamais, d’ailleurs, on n’a vu des escargots se joindre aux
fourmis pour porter des fumerolles.

Le soir, les insectes de la procession se réunissent dans un
énorme bivouac à plat. Au centre, les braises rougeoyantes permettent de garder
une activité alors que les fourmis de la périphérie sont endormies. Princesse
103
e
, debout sur quatre pattes, conte à l’énorme masse de ses
compagnes ce qu’elle croit connaître des Doigts.

 

184. PHÉROMONE ZOOLOGIQUE : TRAVAIL

 

Saliveuse : 10
e
.

TRAVAIL

Les Doigts se sont d’abord battus pour manger.

Puis, quand ils ont tous eu assez à manger, ils se sont
battus pour la liberté.

Quand ils ont eu la liberté, ils se sont battus pour se
reposer le plus longtemps possible sans travailler.

Maintenant, grâce aux machines, les Doigts ont atteint
cet objectif.

Ils restent chez eux à profiter de la nourriture, de la
liberté et de l’absence de travail, mais au lieu de se dire : « La
vie est belle, on peut passer ses journées à ne rien faire », ils se
sentent malheureux et votent pour les chefs qui leur promettent de leur
redonner du travail en résorbant le chômage.

Détail intéressant : en langage doigtesque français,
le mot travail vient du latin
tripalium
, trépied, qui était l’un des
plus douloureux supplices infligés aux esclaves.

On les pendait la tête en bas à un trépied et on leur
donnait des coups de bâton
.

 

185. LE SANCTUAIRE

 

Des buissons de ronces encerclaient une cuvette. Il y avait
au centre une colline, elle-même surplombée d’une colline plus petite. Des
oiseaux planaient en fredonnant des airs folkloriques. Les cyprès ondulaient en
les écoutant.

Juchée sur un long rocher de grès, Julie marmonna :

— Il me semble que je reconnais ce décor.

Le décor la reconnut aussi. Elle se sentit épiée. Pas par
les arbres, mais par le sol lui-même. Les deux collines étaient comme un œil
avec une pupille protubérante dont les haies de ronces seraient les cils.

La fourmi volante ne les guida pourtant pas vers elles mais
vers un fossé placé juste au-dessous du doigt de grès.

Julie s’avança. Cette fois, plus de doute. C’était ici
qu’elle avait découvert l’
Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu
.

— Si on descend là-dedans, on ne pourra plus jamais
remonter, estima David.

La fourmi volante tournait autour d’eux, les pressant
pourtant de sauter. Avec fatalisme, ils obéirent.

La jeune fille et le jeune homme s’écorchèrent les mains et
le visage à des ronces, des acacias, du chiendent et des cirses. C’était
vraiment la grande foire de tout ce qui se fait de mal famé dans le monde
végétal. Quelques liserons apportaient une note fleurie dans ce milieu rude.

La fourmi volante les conduisit vers un trou. À quatre
pattes, comme des taupes, ils s’enfoncèrent dans la terre.

La fourmi volante éclairait le tunnel de son œil phare.
David suivait tant bien que mal, sans lâcher sa canne.

— Au fond, c’est une impasse. Je le sais puisque je
suis déjà descendue ici, annonça Julie…

En effet, au bout, le tunnel était clos. La fourmi volante
atterrit comme si elle en avait fini avec son travail de guide.

— Voilà, il n’y a plus qu’à refaire le chemin en sens
inverse, soupira la jeune fille.

— Attends, cet insecte robot ne nous a sûrement pas
fait venir jusqu’ici pour rien, dit David.

Il examinait l’endroit avec attention. Il tâtonna contre le
mur et sentit sous sa main quelque chose de dur et froid. Il épousseta le sable
et dégagea une plaque ronde de métal que la fourmi volante s’empressa
d’éclairer. Sur le panneau métallique était gravée une énigme et encadré un
clavier plat de type Digicode pour y répondre.

Ensemble, ils déchiffrèrent : « Comment faire avec
six allumettes huit triangles équilatéraux de taille égale ? »

De la géométrie maintenant. Julie se prit la tête dans les
mains. Impossible d’y échapper, le système scolaire vous rattrapait partout.

— Cherchons. C’est l’énigme de la télé, dit David, qui
aimait bien les énigmes et ne manquait que rarement « Piège à
réflexion ».

— Ah oui ! eh bien, la bonne femme de la
télévision, qui est tellement calée, elle ne l’a pas trouvée la solution.
Alors, nous…

— Au moins, tant qu’on cherche, on est à l’abri,
insista David.

Le jeune homme arracha une racine, à fleur de terre, la
découpa en six morceaux et disposa ceux-ci en tous sens.

— Six allumettes et huit triangles… Ça doit être
faisable.

Il joua longtemps avec les allumettes. Soudain il annonça :

— Ça y est, j’ai trouvé !

Il lui expliqua la solution. Il tapa le mot et, dans un
feulement d’acier, la porte en métal s’ouvrit.

Derrière, il y avait une lumière et des gens.

 

186. PHÉROMONE ZOOLOGIQUE : INSTINCT GRÉGAIRE

 

Saliveuse : 10
e
.

INSTINCT GRÉGAIRE

Les Doigts sont des animaux très grégaires.

Ils supportent difficilement de vivre seuls.

Dès qu’ils le peuvent, ils se regroupent en troupeaux.

L’un des endroits où leur rassemblement est des plus
spectaculaires s’appelle « métro ».

Là-dedans, ils sont capables de supporter ce qu’aucun
insecte au monde ne supporterait : ils se serrent les uns contre les
autres, s’écrasent et se compressent jusqu’à ne plus pouvoir bouger tant la
foule est dense autour d’eux.

Le phénomène du métro pose problème : le Doigt
dispose-t-il d’une intelligence individuelle ou est-il mû par des injonctions
auditives ou visuelles qui l’obligent à ce genre de comportement grégaire.

 

187. C’ÉTAIT DONC EUX

 

Le premier visage que Julie aperçut fut celui de Ji-woong.
Francine, Zoé, Paul et Léopold lui apparurent ensuite. Si l’on exceptait
Narcisse, les « Fourmis » étaient au complet.

Leurs amis leur tendirent les bras et les soutinrent. Ils se
serrèrent les uns contre les autres, trop contents de se retrouver. Ils
embrassèrent Julie sur les joues qu’elle avait chaudes.

Ji-woong raconta leurs aventures. Sortis tant bien que mal,
mais indemnes, des échauffourées du lycée, ils avaient voulu venger Narcisse et
avaient poursuivi les Rats noirs dans les petites rues autour de la grande
place mais ceux-ci étaient déjà loin. Les policiers s’étaient lancés à leurs
trousses et ils s’étaient donné beaucoup de mal pour leur échapper. La forêt
leur avait paru un bon refuge et, là, une fourmi volante était venue vers eux
pour les conduire jusqu’ici.

Une porte s’ouvrit et une petite silhouette tassée s’encadra
dans la lumière : un vieux monsieur à la longue barbe blanche qui
ressemblait à un Père Noël.

— Ed… Edmond Wells ? bégaya
Julie.

Le vieillard secoua la tête.

— Edmond Wells est mort il y a trois ans déjà. Je suis
Arthur Ramirez. Pour vous servir.

— C’est M. Ramirez qui nous a dépêché des robots
fourmis volantes pour nous guider ici, affirma Francine.

La jeune fille aux yeux gris clair considéra un instant leur
sauveur.

— Vous connaissiez Edmond Wells ?
interrogea-t-elle.

— Ni plus ni moins que vous. Je le connais uniquement
par les textes qu’il nous a laissés. Mais, somme toute, lire quelqu’un n’est-il
pas la meilleure méthode pour le connaître ?

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