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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

La Révolution des Fourmis (67 page)

Ils ne s’étaient pas rendu compte de l’énormité de la tâche
qu’ils avaient accomplie. Maintenant qu’ils étaient contraints de faire voyager
ce trésor, ils réalisaient combien il était lourd et volumineux. Rien que le
savoir de base du « Centre des questions » correspondait en volume de
caractères à celui de plusieurs centaines d’encyclopédies usuelles.

Des bruits de bottes résonnèrent dans le couloir. Les
policiers se rapprochaient.

Francine manipula les commandes pour que le modem téléphonique
expédie non plus 56 000 bits, mais, en allure turbo forcée,
112 000 bits par seconde.

Des poings frappèrent péremptoirement contre la porte.

Francine courait d’un ordinateur à l’autre pour veiller au
bon voyage de l’esprit de la Révolution des fourmis. David et Julie déplacèrent
des meubles pour bloquer l’entrée du laboratoire d’informatique et les
policiers entreprirent d’y donner des coups d’épaule pour la défoncer. Les
meubles offraient cependant une bonne résistance.

Julie redoutait que quelqu’un n’ait l’idée de couper
l’arrivée de l’électricité des plaques solaires ou la ligne téléphonique reliée
à un simple portable sur le toit avant qu’ils n’en aient terminé mais, pour
l’instant, les CRS n’étaient préoccupés que de lutter contre la porte qui les
empêchait de faire irruption dans la salle.

— Ça y est, annonça Francine. Tous les fichiers ont été
transmis à San Francisco. Notre mémoire se trouve à dix mille kilomètres d’ici.
Quoi qu’il nous arrive, d’autres pourront faire fructifier nos découvertes,
tirer parti de nos expériences et faire avancer notre travail même si, pour
nous, tout est fichu.

Julie se sentit soulagée. Elle jeta un coup d’œil par la
fenêtre et constata qu’un dernier carré d’amazones particulièrement coriaces
tenait encore tête aux policiers.

— Je ne crois pas que nous soyons fichus. Tant qu’il y
a de la résistance, il y a de l’espoir. Nos travaux ne sont pas perdus et la
Révolution des fourmis est toujours vivante.

Francine récupéra les rideaux pour faire une corde qu’elle
accrocha au balcon. Elle descendit la première et tomba dans la cour.

Les assaillants étaient enfin parvenus à écarter une
planche. Par l’interstice, ils lancèrent une bombe lacrymogène dans la pièce.

Julie et David toussèrent mais, à travers ses larmes, le
jeune homme indiqua qu’il y avait encore quelque chose à faire : détruire
les fichiers dans les disques durs, sinon les policiers allaient s’en emparer.
Il se précipita pour lancer partout la commande de formatage des disques durs.
En un instant, tout leur ouvrage disparut des appareils. Désormais, il n’y
avait plus rien ici. Pourvu qu’à San Francisco la réception se soit bien
passée !

Une deuxième grenade lacrymogène explosa sur le sol. Il n’y
avait pas à réfléchir. Le trou de la porte s’agrandissait. À leur tour, ils
s’élancèrent après les rideaux.

Julie regretta de ne pas s’être montrée plus assidue aux
cours de gymnastique mais, dans l’urgence, la peur était le meilleur des
professeurs. Elle glissa sans problème jusqu’à la cour. Là, elle se rendit
compte qu’il lui manquait quelque chose. L’
Encyclopédie du Savoir Relatif et
Absolu
. Un frisson la parcourut. L’aurait-elle oubliée en haut, dans le
laboratoire d’informatique maintenant envahi de policiers ? Lui fallait-il
renoncer à son ami le livre ?

Une fraction de seconde, Julie demeura hésitante, prête à
remonter. Et puis, le soulagement succéda à l’angoisse. Elle l’avait laissé
dans le local du club de musique, Léopold ayant souhaité le consulter.

Cette hésitation lui avait fait perdre de vue Francine et
David, noyés dans le brouillard de fumerolles. Autour d’elle, il n’y avait plus
que des jeunes gens et des jeunes filles courant dans tous les sens.

Les forces de l’ordre étaient partout. De gros microbes
noirs, armés de matraques et de boucliers, s’engouffraient par la plaie béante
de la porte d’entrée. Maximilien dirigeait la manœuvre avec prudence. Il ne
tenait pas à avoir cinq cents prisonniers sur les bras, il ne tenait qu’à
capturer les meneurs pour l’exemple.

Il éleva son porte-voix :

— Rendez-vous ! Il ne vous sera fait aucun mal.

Élisabeth, la meneuse des filles du club de aïkido, se
saisit d’une lance d’incendie. Elle avait constaté que l’eau avait été
rebranchée et, à présent, elle fauchait à tour de bras les policiers qui
l’entouraient. Son acte d’héroïsme fut de courte durée. Des CRS lui arrachèrent
la lance des mains et tentèrent de la menotter. Elle ne dut son salut qu’à sa
science des arts martiaux.

— Ne perdez pas de temps avec les autres. Julie Pinson,
il nous faut Julie Pinson ! rappela le commissaire dans son porte-voix.

Les assaillants possédaient le signalement de la jeune fille
aux yeux gris clair. Prise en chasse, elle fonça vers les lances d’incendie.
Elle eut à peine le temps d’en saisir une et de libérer la goupille de
sécurité.

Déjà, des policiers l’encerclaient.

Une giclée d’adrénaline monta si rapidement en elle qu’elle
perçut tout ce qui se passait dans son corps. Elle était dans l’ici et le maintenant
comme jamais auparavant. Elle ajusta son cœur pour l’accorder au rythme du
combat et, spontanément, ses cordes vocales lancèrent leur cri de guerre :

— Tiaaaah !!!

Elle déclencha le jet d’eau et les noya au point de les
forcer à se mettre à genoux. Mais ils continuaient à avancer.

Elle était une machine de combat, elle se sentait
invincible. Elle était reine, elle contrôlait le dehors et le dedans, elle
pouvait encore changer le monde.

Maximilien ne s’y trompa pas :

— Elle est là. Emparez-vous de cette furie !
ordonna-t-il dans son porte-voix.

Une nouvelle giclée d’adrénaline donna à Julie la force de
décocher un formidable coup de coude à l’homme qui tentait de l’attraper par-derrière.
Un coup de pied bien ajusté fit plier un second assaillant.

Tous ses sens en alerte, elle reprit la lance d’incendie,
qui était tombée à terre, l’appuya contre son ventre telle une mitrailleuse,
les abdominaux contractés. Elle faucha une ligne de policiers.

Quel miracle s’accomplissait en elle ? Les mille cent
quarante muscles qui constituaient son corps, les deux cent six os de son
squelette, les douze milliards de cellules nerveuses de son cerveau, les huit
millions de kilomètres de câblage nerveux, il n’y avait pas une parcelle de ses
cellules qui ne se préoccupât de la voir gagner.

Une grenade lacrymogène éclata juste entre ses pieds et elle
s’étonna que ses poumons ne s’autorisent pas une crise d’asthme pendant la
bataille. Peut-être la graisse accumulée ces derniers temps lui avait-elle
donné une réserve de forces pour mieux lutter.

Mais les CRS étaient sur elle. Avec leurs masques à gaz aux
yeux ronds et leurs becs pointus prolongés d’un filtre ils ressemblaient à de
noirs corbeaux.

Julie, qui donnait des coups de pied, perdit ses
sandalettes. Une dizaine de bras se plaquèrent partout sur son corps, enserrant
son cou et ses seins.

Une seconde grenade tomba tout près d’elle et un brouillard
épais ajouta à la confusion. Les larmes ne suffisaient plus à protéger sa
cornée.

Soudain tout s’inversa. Les bras ennemis s’éloignèrent,
chassés par de petits coups de bâton précis et puissants. Au milieu des
corbeaux, une main chercha la sienne et la saisit.

Dans la brume, ses yeux gris clair rétrécis identifièrent
son sauveur : David.

Avec le peu d’énergie qui lui restait, elle voulut reprendre
la lance à eau mais le garçon la tira en arrière :

— Viens.

Son oreille gauche capta les mots. Sa bouche articula :

— Je veux me battre jusqu’au bout.

C’était le désordre dans ses cellules, même ses deux
hémisphères cérébraux n’étaient pas d’accord. Ses jambes décidèrent de détaler.
David entraîna Julie vers le local du club de musique avec son débouché sur les
caves.

— Si nous fuyons, ce sera pour moi un échec de plus,
parvint-elle à émettre, le souffle haché.

— Fais comme les fourmis. Quand il y a danger, leurs
reines fuient par les souterrains.

Elle scruta la bouche béante et sombre devant elle.

— 
L’Encyclopédie
 !

Paniquée, elle sonda les couvertures.

— Laisse tomber, les flics arrivent.

— Jamais !

Un policier apparut dans l’embrasure. David fit tournoyer sa
canne pour gagner du temps. Il parvint à le repousser et même à fermer la porte
avec les verrous.

— Ça y est, je l’ai ! dit Julie en brandissant à
la fois l’
Encyclopédie dis Savoir Relatif et Absolu
et son sac à dos.

Elle y enfourna le livre, serra les sangles et consentit à
suivre David dans le souterrain. Il semblait aller dans une direction précise.
Comprenant que Julie ne faisait plus que suivre des directives extérieures, les
sens et les cellules de la jeune fille se firent moins présents et reprirent
leurs occupations habituelles : fabriquer de la bile, transformer
l’oxygène en gaz carbonique, évacuer ou transformer les résidus de gaz
lacrymogènes, fournir en sucre les muscles qui en réclamaient.

Dans le labyrinthe des caves de l’établissement, les
policiers perdirent leur trace. Julie et David couraient. Ils parvinrent au
croisement. À gauche, les caves de l’immeuble voisin, à droite les égouts.
David la poussa vers la droite.

— Où va-t-on ?

 

164. MORT AUX DÉISTES

 

Par là ! L’escouade de 13
e
avance dans le
couloir. Grâce à des indiscrétions phéromonales, elles ont découvert le passage
secret qui mène au repaire des déistes. Il est situé au quarante-cinquième
niveau en sous-sol. Il suffit de soulever une motte de champignons pour déboucher
à l’intérieur.

Les soldates, toutes très bien équipées en mandibules,
cheminent à pas prudents dans le couloir. Celles qui sont munies d’ocelles à
vision infrarouge distinguent d’étranges graffitis sur les parois. Ici, à la
pointe de la mandibule, des fourmis ont tracé non seulement des cercles mais de
véritables fresques. On y voit des cercles tuant des fourmis. Des cercles
nourrissant des fourmis. Des cercles discutant avec des fourmis. Voilà la
vision des dieux en action.

La troupe meurtrière avance et se heurte à un premier
système de sécurité. C’est une fourmi-concierge dont la large tête obstrue
l’issue. Dès que l’animal-porte perçoit les effluves des soldates, il fait
tournoyer ses cisailles en émettant des phéromones d’alerte. Que les déistes soient
parvenues à convertir des fourmis aussi particulières que celles de la caste
des concierges montre bien l’étendue de leur pouvoir.

Sous les coups de boutoir des laïques, la porte blindée
vivante finit par rendre l’âme. En lieu et place du large front de la
concierge, il y a désormais un tunnel fumant. Les guerrières foncent. Une
fourmi déiste artilleuse, qui se trouve là par hasard, accourt et se met à
tirer mais elle est fusillée avant même d’avoir causé le moindre dégât.

Dans son agonie, la fourmi déiste se traîne et gesticule un
peu pour allonger ses pattes. Soudain, elle se crispe en une croix à six
branches plus ou moins rigides. Dans un ultime effort, elle émet le plus fort
qu’elle peut :

Les Doigts sont nos dieux
.

 

165. ENCYCLOPÉDIE

 

PARADOXE D’ÉPIMÉNIDE
 : À elle seule, la phrase « cette phrase
est fausse » constitue le paradoxe d’Épiménide. Quelle phrase est
fausse ? Cette phrase. Si je dis qu’elle est fausse, je dis la vérité.

Donc, elle n’est pas
fausse. Donc, elle est vraie. La phrase renvoie à son propre reflet inversé. Et
c’est sans fin.

 

Edmond Wells,

Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu
, tome III.

 

166. FUITE DANS LES ÉGOUTS

 

Ils avançaient dans le noir. Ça empestait, ça glissait, ils
n’avaient aucun moyen de se repérer, ne s’étant jamais aventurés jusqu’ici.

Cette chose molle et tiède qu’elle avait palpée du bout de
l’index, qu’était-ce ? Un excrément ? Une moisissure ? Était-ce
animal ? Végétal ? Était-ce vivant ?

Plus loin, un tronçon pointu, ici une rondelle humide. Il y
avait du sol poilu, du sol râpeux, du sol gluant…

Son sens du toucher n’était pas encore suffisamment sensible
pour lui apporter des informations précises.

Pour se donner du courage, sans s’en rendre compte,
doucement, Julie se mit à chantonner « Une souris verte, qui courait dans
l’herbe » et s’aperçut que, grâce à la réverbération de sa voix, elle
pouvait plus ou moins évaluer l’espace dont elle disposait devant elle. Si son
sens du toucher était déficient, son ouïe et sa voix le compensaient. Elle
constata que, dans le noir, elle y voyait mieux lorsqu’elle fermait les
paupières. Elle était en train de fonctionner, en fait, comme une chauve-souris
qui, dans une caverne, développe sa capacité à percevoir les volumes grâce à
l’émission et à la réception de sons. Plus ceux-ci étaient aigus, mieux elle
discernait la forme de l’endroit où ils se trouvaient et jusqu’aux obstacles
qui leur faisaient face.

 

167. ENCYCLOPÉDIE

 

ÉCOLE DU SOMMEIL
 : Nous passons vingt-cinq années de notre
existence à dormir et, pourtant, nous ignorons comment maîtriser la qualité et
la quantité de notre sommeil.

Le vrai sommeil profond,
celui qui nous permet de récupérer, ne dure qu’une heure par nuit et il est
découpé en petites séquences de quinze minutes qui, comme un refrain de
chanson, reviennent toutes les une heure et demie.

Parfois, certaines
personnes dorment dix heures d’affilée sans trouver ce sommeil profond et elles
se réveillent au bout de ces dix heures complètement épuisées.

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