Read Selected Poems 1930-1988 Online
Authors: Samuel Beckett
Un jour qu'Armstrong jouait au loto avec ses sÅurs
Il s'écria: âC'est moi qui ai la viande crue'.
Il s'en fit des lèvres et depuis ce jour,
Sa trompette a la nostalgie de leur premier baiser.
Terre noire où fleurit le pavot,
Armstrong conduit le torrent, en robe d'épousée, au sommeil.
Chaque fois que, pour moi, âSome of these days'
Traverse vingt épaisseurs de silence,
Il me vient un cheveu blanc
Dans un vertige d'ascenseur.
âAfter you're gone'
Est un miroir où la douleur se regarde vieillir.
âYou driving me crazy' est une aube tremblante
Où sa trompette à la pupille dilatée
Se promène sans balancier sur les cordes de violon.
Et âConfessing' donne de l'appétit au malheur.
Chant de l'impatience, ta musique noctambule
Se répand dans mes veines où tout prend feu.
Armstrong, petit père Mississippi,
Le lac s'emplit de ta voix
Et la pluie remonte vers le ciel
Vers quels villages abordent tes flèches
Après nous avoir touchés?
Traversent-elles des chevaux sauvages
Avant de nous empoisonner?
Les racines de ton chant se mélangent dans la terre
En suivant les sillons que las foudre a tracés.
Les nuits de Harlem portent l'empreinte de tes ongles
Et la neige fond noire, au soleil de ton cÅur.
Je marche, les yeux clos, vers un abîme
Où m'appellent les Åillades de tes notes femelles
Plus inquiétantes que l'appel de la mer.
suddenly in the midst of a game of lotto with his sisters
Armstrong let a roar out of him that he had the raw meat
red wet flesh for Louis
and he up and he sliced him two rumplips
since when his trumpet bubbles
their fust buss
poppies burn on the black earth
he weds the flood he lulls her
some of these days
muffled in ooze
down down down down
pang of white in my hair
after you're gone
Narcissus lean and slippered
you're driving me crazy
and the trumpet
is Ole Bull it chassés aghast
out of the throes of morning
down the giddy catgut
and
confessing
and my woe slavers
the black music it can't be easy
it threshes the old heart into a spin
into a blaze
Louis lil' ole fader Mississippi
his voice gushes into the lake
the rain spouts back into heaven
his arrows from afar they fizz through the wild horses
they fang you and me
then they fly home
flurry of lightning in the earth
sockets for his rootbound song
nights of Harlem scored with his nails
snow black slush when his heart rises
his she-notes they have more tentacles than the sea
they woo me they close my eyes
they suck me out of the world
Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs:
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.
J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.
Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus! et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.
La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots!
Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.
Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif, parfois descend;
Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que vos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour!
Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants: je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir!
J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets!
J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteur,
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs!
J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le muffle aux Océans poussifs!
J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes, des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, Ã de glauques troupeaux!
J'ai vu fermenter les marais, énormes nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan,
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces
Et les lointains vers les gouffres cataractant!
Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises,
Ãchouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums!
J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
Des écumes de fleurs ont béni mes dérades,
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.
Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer, dont le sanglot faisait mon roulis doux,
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux â¦
Presque'île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons!
Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau;
Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur;
Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs;
Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et des Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets!
J'ai vu des archipels sidéraux! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur:
â Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur? â
Mais, vrai, j'ai trop pleuré! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer:
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
O que ma quille éclate! O que j'aille à la mer!
Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi, plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.
Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.
Downstream on impassive rivers suddenly
I felt the towline of the boatmen slacken.
Redskins had taken them in a scream and stripped them and
Skewered them to the glaring stakes for targets.
Then, delivered from my straining boatmen,
From the trivial racket of trivial crews and from
The freights of Flemish grain and English cotton,
I made my own course down the passive rivers.
Â
Blanker than the brain of a child I fled
Through winter, I scoured the furious jolts of the tides,
In an uproar and a chaos of Peninsulas,
Exultant, from their moorings in triumph torn.
I started awake to tempestuous hallowings.
Nine nights I danced like a cork on the billows, I danced
On the breakers, sacrificial, for ever and ever,
And the crass eye of the lanterns was expunged.
More firmly bland than to children apples' firm pulp,
Soaked the green water through my hull of pine,
Scattering helm and grappling and washing me
Of the stains, the vomitings and blue wine.
Thenceforward, fused in the poem, milk of stars,
Of the sea, I coiled through deeps of cloudless green,
Where, dimly, they come swaying down,
Rapt and sad, singly, the drowned;
Where, under the sky's haemorrhage, slowly tossing
In thuds of fever, arch-alcohol of song,
Pumping over the blues in sudden stains,
The bitter rednesses of love ferment.
I know the heavens split with lightnings and the currents
Of the sea and its surgings and its spoutings; I know evening,
And dawn exalted like a cloud of doves.
And my eyes have fixed phantasmagoria.
I have seen, as shed by ancient tragic footlights,
Out from the horror of the low sun's mystic stains,
Long weals of violet creep across the sea
And peals of ague rattle down its slats.
I have dreamt the green night's drifts of dazzled snow,
The slow climb of kisses to the eyes of the seas,
The circulation of unheard saps,
And the yellow-blue alarum of phosphors singing.
I have followed months long the maddened herds of the surf
Storming the reefs, mindless of the feet,
The radiant feet of the Marys that constrain
The stampedes of the broken-winded Oceans.
I have fouled, be it known, unspeakable Floridas, tangle of
The flowers of the eyes of panthers in the skins of
Men and the taut rainbows curbing,
Beyond the brows of the seas, the glaucous herds.
I have seen Leviathan sprawl rotting in the reeds
Of the great seething swamp-nets;
The calm sea disembowelled in waterslides
And the cataracting of the doomed horizons.
Iridescent waters, glaciers, suns of silver, flagrant skies,
And dark creeks' secret ledges, horror-strewn,
Where giant reptiles, pullulant with lice,
Lapse with dark perfumes from the writhing trees.
I would have shown to children those dorados
Of the blue wave, those golden fish, those singing fish;
In spumes of flowers I have risen from my anchors
And canticles of wind have blessed my wings.
Then toward me, rocking softly on its sobbing,
Weary of the torment of the poles and zones,
The sea would lift its yellow polyps on flowers
Of gloom and hold me â like a woman kneeling â
A stranded sanctuary for screeching birds,
Flaxen-eyed, shiteing on my trembling decks,
Till down they swayed to sleep, the drowned, spreadeagled,
And, sundering the fine tendrils, floated me.
Now I who was wrecked in the inlets' tangled hair
And flung beyond birds aloft by the hurricane,
Whose carcass drunk with water Monitors
And Hanseatic sloops could not have salved;
Who, reeking and free in a fume of purple spray,
Have pierced the skies that flame as a wall would flame
For a chosen poet's rapture, and stream and flame
With solar lichen and with azure snot;
Who scudded, with my escort of black sea-horses,
Fury of timber, scarred with electric moons,
When Sirius flogged into a drift of ashes
The furnace-cratered cobalt of the skies;
I who heard in trembling across a waste of leagues
The turgent Stroms and Behemoths moan their rut,
I weaving for ever voids of spellbound blue,
Now remember Europe and her ancient ramparts.
I saw archipelagoes of stars and islands launched me
Aloft on the deep delirium of their skies:
Are these the fathomless nights of your sleep and exile,
Million of golden birds, oh Vigour to be?
But no more tears. Dawns have broken my heart,
And every moon is torment, every sun bitterness;
I am bloated with the stagnant fumes of acrid loving â
May I split from stem to stern and founder, ah founder!
I want none of Europe's waters unless it be
The cold black puddle where a child, full of sadness,
Squatting, looses a boat as frail
As a moth into the fragrant evening.
Steeped in the languors of the swell, I may
Absorb no more the wake of the cotton-freighters,
Nor breast the arrogant oriflammes and banners,
Nor swim beneath the leer of the pontoons.