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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

La Révolution des Fourmis (48 page)

Elle aurait peut-être dû mieux écouter les cours d’histoire
pour apprendre comment s’étaient débrouillés ses prédécesseurs dans les mêmes
circonstances. Qu’auraient fait Trotski, Lénine, Che Guevara, ou Mao, à sa
place ?

Les apostropheurs écolo, banlieusards, etc. firent la
grimace, certains crachèrent par terre ou marmonnèrent des injures, mais, se
sentant minoritaires, ils n’osèrent pas trop insister.

Qui sont les nouveaux inventeurs
 ?

Qui sont les nouveaux visionnaires
 ?
répétait-elle, s’accrochant à ces phrases comme à une bouée.

Canaliser la foule. En extraire l’énergie et la canaliser
pour en obtenir le meilleur et, avec elle, construire, était à cet instant son
unique préoccupation. Le seul problème était qu’elle ne savait pas quoi
construire.

Soudain quelqu’un surgit en courant et murmura à l’oreille
de Julie :

— Les flics ont tout bouclé, on ne pourra bientôt plus
sortir.

Il y eut une rumeur dans la foule.

Julie reprit le micro.

— On vient de m’annoncer que les flics ont bouclé les
alentours. Nous sommes ici comme dans une île déserte et pourtant en plein
centre d’une ville moderne. Ceux qui veulent partir feraient bien de se décider
tout de suite, avant que cela ne devienne impossible.

Trois cents personnes se dirigèrent vers la grille.
C’étaient pour la plupart des gens plus mûrs qui craignaient que leur famille
ne s’inquiète, des gens pour qui leur travail avait plus d’importance que ce
qui, après tout, n’avait été pour eux qu’une fête. Il y avait aussi des jeunes
qui redoutaient les remontrances paternelles après cette nuit où ils n’étaient
pas rentrés, et sans prévenir, d’autres qui aimaient bien le rock mais se
souciaient comme d’une guigne de cette révolution de fourmis.

Enfin les leaders écolo, banlieusards, lutte des classes qui
avaient tenté de récupérer la manifestation quittèrent également les lieux en
marmonnant des railleries.

On ouvrit la grille. Dehors, les CRS regardèrent passer les
partants avec indifférence.

— Et maintenant que nous sommes rien qu’entre gens de
bonne volonté, que la fête commence vraiment ! s’exclama Julie.

 

118. ENCYCLOPÉDIE

 

UTOPIE DES INDIENS
D’AMÉRIQUE
 : Les Indiens
d’Amérique du Nord, qu’ils soient sioux, cheyennes, apaches, crows, navajos,
comanches, etc. partageaient les mêmes principes.

Tout d’abord, ils se
considéraient comme faisant partie intégrante de la nature et non maîtres de la
nature. Leur tribu ayant épuisé le gibier d’une zone migrait afin que le gibier
puisse se reconstituer. Ainsi leur ponction n’épuisait pas la Terre.

Dans le système de valeurs
indien, l’individualisme était source de honte plutôt que de gloire. Il était
obscène de faire quelque chose pour soi. On ne possédait rien, on n’avait de
droit sur rien. Encore de nos jours, un Indien qui achète une voiture sait
qu’il devra la prêter au premier Indien qui la lui réclamera.

Leurs enfants étaient
éduqués sans contraintes. En fait, ils s’auto-éduquaient.

Ils avaient découvert les
greffes de plantes qu’ils utilisaient par exemple pour créer des hybrides de
maïs. Ils avaient découvert le principe d’imperméabilisation des toiles grâce à
la sève d’hévéa. Ils savaient fabriquer des vêtements de coton dont la finesse
de tissage était inégalée en Europe. Ils connaissaient les effets bénéfiques de
l’aspirine (acide salicylique), de la quinine…

Dans la société indienne
d’Amérique du Nord, il n’y avait pas de pouvoir héréditaire ni de pouvoir
permanent. À chaque décision, chacun exposait son point de vue lors du
pow-wow
(conseil de la tribu). C’était avant tout (et bien avant les révolutions
républicaines européennes) un régime d’assemblée. Si la majorité n’avait plus
confiance dans son chef, celui-ci se retirait de lui-même.

C’était une société
égalitaire. Il y avait certes un chef mais on n’était chef que si les gens vous
suivaient spontanément. Être leader, c’était une question de confiance. À une
décision prise en
pow-wow
chacun n’était obligé d’obéir que s’il avait
voté pour cette décision. Un peu comme si, chez nous, il n’y avait que ceux qui
trouvaient une loi juste qui l’appliquaient !

Même à l’époque de leur
splendeur, les Amérindiens n’ont jamais eu d’armée de métier. Tout le monde
participait à la bataille quand il le fallait, mais le guerrier était avant
tout reconnu socialement comme chasseur, cultivateur et père de famille.

Dans le système indien,
toute vie, quelle que soit sa forme, mérite le respect. Ils ménageaient donc la
vie de leurs ennemis pour que ceux-ci en fassent de même. Toujours cette idée
de réciprocité ne pas faire aux autres ce qu’on n’a pas envie qu’ils nous
fassent.

La guerre était considérée
comme un jeu où l’on devait montrer son courage. On ne souhaitait pas la
destruction physique de son adversaire. Un des buts du combat guerrier était
notamment de toucher l’ennemi avec l’extrémité de son bâton à bout rond.
C’était un honneur plus fort que de le tuer. On comptait « une
touche ». Le combat s’arrêtait dès les premières effusions de sang. Il y
avait rarement des morts.

Le principal objectif des
guerres inter-indiennes consistait à voler les chevaux de l’ennemi.
Culturellement, il leur fut difficile de comprendre la guerre de masse
pratiquée par les Européens. Ils furent très surpris quand ils virent que les
Blancs tuaient tout le monde, y compris les vieux, les femmes et les enfants.
Pour eux ce n’était pas seulement affreux, c’était surtout aberrant, illogique,
incompréhensible. Pourtant, les Indiens d’Amérique du Nord résistèrent
relativement longtemps.

Les sociétés
sud-américaines furent plus faciles à attaquer. Il suffisait de décapiter la
tête royale pour que toute la société s’effondre. C’est la grande faiblesse des
systèmes à hiérarchie et à administration centralisées. On les tient par leur
monarque. En Amérique du Nord, la société avait une structure plus éclatée. Les
cow-boys eurent affaire à des centaines de tribus migrantes. Il n’y avait pas
un grand roi immobile mais des centaines de chefs mobiles. Si les Blancs
arrivaient à mater ou à détruire une tribu de cent cinquante personnes, ils
devaient à nouveau s’attaquer à une deuxième tribu de cent cinquante personnes.

Ce fut malgré tout un gigantesque
massacre. En 1492, les Amérindiens étaient dix millions. En 1890, ils
étaient cent cinquante mille, se mourant pour la plupart des maladies apportées
par les Occidentaux.

Lors de la bataille de
Little Big Horn, le 25 juin 1876, on assista au plus grand
rassemblement indien : dix à douze mille individus dont trois à quatre
mille guerriers. L’armée amérindienne écrasa à plate couture l’armée du général
Custer. Mais il était difficile de nourrir tant de personnes sur un petit
territoire. Après la victoire, les Indiens se sont donc séparés. Ils
considéraient qu’après avoir subi une telle humiliation, les Blancs n’oseraient
plus jamais leur manquer de respect.

En fait, les tribus ont
été réduites une par une. Jusqu’en 1900, le gouvernement américain a tenté
de les détruire. Après 1900, il a cru que les Amérindiens s’intégreraient
au
melting-pot
comme les Noirs, les Chicanos, les Irlandais, les
Italiens.

Mais c’était là une vision
réduite. Les Amérindiens ne voyaient absolument pas ce qu’ils pouvaient
apprendre du système social et politique occidental qu’ils considéraient comme
nettement moins évolué que le leur.

 

Edmond Wells,

Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.

 

119. ÇA RISSOLE

 

Dès que la lumière du soleil à l’extérieur se fait plus
forte que la lumière de la braise à l’intérieur, les fourmis se regroupent sur
la berge, puis partent vers les longues terres de l’Ouest.

Elles ne sont qu’une centaine mais elles ont l’impression de
pouvoir, ensemble, changer le monde. Princesse 103
e
est consciente
qu’après s’être lancée dans une croisade d’ouest en est afin de découvrir le
mystérieux pays des Doigts, elle en effectue à présent une autre en sens inverse
afin d’expliquer aux autres ce mystérieux pays des Doigts et ainsi faire
évoluer sa civilisation.

Un vieux proverbe myrmécéen le dit bien :
Tout ce
qui part dans une direction revient dans la direction inverse
.

Les Doigts seraient bien incapables de comprendre ce genre
d’adage et Princesse 103
e
se dit que les fourmis ont quand même une
culture spécifique.

La cohorte traverse des plaines nauséabondes où les pluies
de samares, ces fruits du frêne et de l’orme, sont comme autant de chutes de
rochers tombant du ciel. Elle passe par des forêts de fougères brunes qui
envahissent tout. La rosée flagelle les fourmis et fait retomber leurs antennes
collantes sur leurs joues.

Toutes s’efforcent de sauvegarder les braises en les
protégeant de feuilles. Seul, Prince 24
e
, qui refuse de tomber comme
les autres dans la vénération du monde des Doigts, reste à l’écart, s’efforçant
de ne demeurer en symbiose qu’avec son seul monde.

Le matin se lève, dégageant une chaleur étouffante. Quand la
canicule se fait trop forte, elles s’en protègent à l’abri d’une souche creuse.

Les techniciennes du feu font brûler quelque chose d’immonde
qui empeste rapidement à la ronde. Une coccinelle demande ce que c’est et on
lui répond que c’est du coléoptère. Étant lui-même coléoptère, l’insecte
n’insiste pas et, pour se détendre, s’en va manger quelques troupeaux de
pucerons qui paissent par là.

De son côté, 7
e
entame une grande fresque
grandeur nature où elle compte représenter la procession de la
« révolution des Doigts ». Afin de bien reproduire la forme exacte de
chaque insecte, elle leur demande de poser devant le feu et reproduit alors
leurs ombres sur sa feuille. Son problème, c’est la bonne tenue des pigments.
D’une minute à l’autre, l’image menace de s’effacer. Elle s’aide de salive mais
cela ne fait que diluer les teintes. Il faut chercher autre chose.

7
e
repère une limace qu’elle assassine
allègrement au nom de l’art. Elle teste la bave de limace. L’effet obtenu est
supérieur à celui de la salive. La bave de limace ne dilue pas les pigments et
sèche en durcissant. C’est une excellente laque.

Princesse 103
e
vient voir et assure que, oui,
c’est ça l’art. Elle s’en souvient bien maintenant, l’art, c’est fabriquer des
dessins et des objets qui ne servent à rien, mais qui ressemblent à ce qui
existe déjà.

L’art c’est essayer de reproduire la nature
, résume 7
e
de plus en plus inspirée.

Les fourmis viennent de résoudre un premier mystère des
Doigts. Il leur reste à découvrir encore l’« humour » et
l’« amour ».

Soldate 7
e
est en proie à une exaltation qui
l’incite à se plonger plus profondément encore dans son travail. Ce qu’il y a
de formidable dans l’art, c’est que plus on fait de découvertes, plus il
apparaît de problèmes nouveaux et passionnants.

7
e
se demande comment restituer l’effet de
profondeur des territoires visités. Elle se demande aussi comment figer dans
son image les décors végétaux qui les entourent.

Prince 24
e
et 10
e
écoutent Princesse
103
e
qui leur parle des Doigts.

 

SOURCILS :

Les Doigts ont quelque chose de très pratique au niveau
des yeux, ce sont les sourcils.

Il s’agit d’une ligne de poils surplombant les yeux et
qui arrête l’eau de pluie.

Mais si cela ne s’avérait pas suffisant ils ont encore
autre chose, leurs cavités oculaires sont légèrement enfoncées par rapport au crâne,
ce qui fait que l’eau tombe autour des yeux et non dedans.

 

10
e
prend des notes.

Mais 103
e
qui les a bien observés raconte que ce
n’est pas tout.

 

LARMES :

Les yeux des Doigts ont aussi des larmes.

C’est un système d’injection de salive oculaire qui
permet en même temps de les lubrifier et de les laver.

Grâce aux paupières, sortes de rideaux mobiles tombant
toutes les cinq secondes, leurs yeux sont en permanence recouverts d’une fine
pellicule de lubrifiant transparent qui les protège de la poussière, du vent,
de la pluie, du froid.

Si bien que les Doigts ont toujours les yeux propres sans
avoir besoin de les frotter ou de les lécher
.

 

Les fourmis essaient d’imaginer ces yeux très compliqués des
Doigts. Mais elles ont du mal à se représenter un organe aussi complexe.

 

120. LAISSEZ POURRIR

 

Yeux grands ouverts, Scynthia Linart et sa fille Marguerite
étaient en train de regarder la télévision. Ce soir, c’était Scynthia qui
tenait la télécommande. Elle zappait moins rapidement que Marguerite, sans
doute parce que davantage de choses l’intéressaient.

Chaîne 45. Informations. Deux jumeaux ont inventé leur
propre langage et sont réfractaires à la langue officielle enseignée à l’école.
L’administration a donc décidé de les séparer pour qu’ils puissent enfin apprendre
le français. La Société de pédiatrie déplore que l’Éducation nationale ne lui
ait pas laissé le temps d’étudier ce langage spontané qui permettait peut-être
aux deux frères d’exprimer différemment les choses.

Chaîne 673. Publicité. « Mangez des yaourts !
Mangez des yaourts ! MANGEZ DES YAOURTS ! »

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