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Authors: Richard Bachman

Tags: #Fiction, #Horror, #Thrillers, #General, #sf

The Running Man (2 page)

Elle le voyait, maintenant : le visage au regard rageur, le corps maigre et musclé. Plutôt bien fichu. Pas trop bête. Bonnes réponses.

Elle reprit brusquement la carte et en coupa le coin supérieur droit.

— Pourquoi avez-vous fait cela ?

— Vous occupez pas. On vous expliquera plus tard. Peut-être.

Elle lui rendit la carte et désigna un long couloir donnant sur les ascenseurs. Par dizaines, des hommes arrivaient des guichets, montraient leur carte d’identification et avançaient. L’un d’eux, sûrement un habitué du Push, au teint cireux, aux mains tremblantes, fut refoulé. Il gagna la sortie en pleurant, mais sans faire d’histoires.

— C’est dur, la vie, commenta sèchement la femme du guichet. Allez, avancez.

Richards avança. Derrière lui, la litanie recommençait déjà.

Compte à rebours...
097

A l’entrée du couloir, une main s’abattit lourdement sur son épaule.

— Eh ! Toi, ta carte !

Richards la montra. Le flic se détendit. Son visage de fouine exprimait la déception.

— Ça vous plaît de refouler les gars, hein ? lui dit Richards. Ça vous donne de l’importance.

— Tu veux retourner d’où tu viens, minus ?

Richards avança. Le flic ne fit rien pour l’en empêcher.

Arrivé à mi-chemin des ascenseurs, il se retourna :

— Eh, m’sieur ! (Le policier le regarda d’un air menaçant.) Vous avez une famille ? La semaine prochaine, ça pourrait être vous !

— Circulez ! cria le flic, furieux.

Une vingtaine de candidats attendaient devant les ascenseurs. Richards montra sa carte au flic de service. Celui-ci l’examina attentivement.

— T’aimes jouer au dur, fiston ?

Richards sourit.

— Ça m’arrive.

— Ils vont vite te ramollir, t’en fais pas. Tu feras le malin, quand t’auras trois balles dans la peau ?

— Autant que vous sans votre revolver et avec votre froc à vos pieds, rétorqua Richards sans cesser de sourire.

Un moment, il crut que le flic allait l’assommer, mais il se contenta de dire :

— Tu perds rien pour attendre. Tu te traîneras à genoux avant que ça soit fini, t’inquiète pas.

Le flic se tourna vers de nouveaux arrivants et demanda à voir leur carte.

L’homme qui attendait devant Richards se retourna. Il avait un visage triste et malheureux ; ses cheveux bouclés faisaient des crans.

— Tu sais, mon gars, tu devrais pas les asticoter comme ça. Le téléphone arabe, ça marche.

— Vraiment ? répondit Richards avec affabilité.

L’homme se détourna.

Les portes du premier ascenseur s’ouvrirent soudain. Un flic noir au gros ventre protégeait la rangée de boutons de son large dos. Au fond de la cabine, un autre policier, assis derrière un panneau en plastique à l’épreuve des balles, lisait un magazine sado en 3— D. Il tenait un fusil à canon scié entre les genoux.

— Serrez au fond ! cria le gros flic d’un air important. Allons, serrez !

Tassés au point qu’il devenait impossible de respirer, ils montèrent d’un étage. Les portes s’ouvrirent. Richards, qui dépassait tous les autres d’une tête, vit une vaste salle d’attente avec des rangées de sièges et un énorme Libertel. Il aperçut aussi, dans un coin, un distributeur de cigarettes.

— Sortez ! Sortez tous ! Les cartes à la main gauche !

Sous la surveillance de trois policiers, chacun montra sa carte à l’œil impersonnel d’une caméra. Pour une raison inconnue, une sonnerie retentit à la vue d’une douzaine de cartes, dont les détenteurs furent ramenés dans l’ascenseur.

Richards montra sa carte. On lui fit signe d’avancer. Il alla droit vers la machine à cigarettes, obtint un paquet de Blams et s’assit le plus loin possible du Libertel. Il alluma une cigarette et rejeta la fumée en toussant. C’était sa première depuis six mois.

Compte à rebours...
096

Peu après, les « A » furent appelés pour l’examen médical. Une quinzaine de candidats se précipitèrent vers une porte située derrière l’écran géant. Un panneau accompagné d’une grosse flèche rouge indiquait PAR ICI. Le niveau d’instruction des candidats aux Jeux était notoirement bas.

On appelait une nouvelle lettre toutes les dix-quinze minutes. Comme Ben Richards était arrivé vers cinq heures, il estima qu’il ne passerait guère avant neuf heures.

Il regrettait de ne pas avoir amené de livre, mais c’était peut-être préférable. Les livres étaient mal vus, surtout entre les mains d’un homme habitant au sud du Canal. Les magazines sados, c’était plus sûr.

Il suivit le journal de 6 heures (en Equateur les combats avaient redoublé ; nouvelles émeutes cannibales en Inde ; victoire par 2 à 6 des Tigres de Detroit sur les Léopards de Harding). Lorsque le premier des grands Jeux de la soirée commença à 6 h 30, il s’approcha de la fenêtre. Il ne tenait plus en place. Maintenant que sa décision était prise, les Jeux ne l’intéressaient plus tellement. Presque tous les autres regardaient
Sacrés Fusils !
avec une fascination morbide. La semaine prochaine, ce serait peut-être leur tour.

Dehors, il faisait presque nuit. Les rames du métro aérien fonçaient dans les arceaux magnétiques, perçant la brume jaunâtre de leurs phares puissants. En bas, sur le trottoir, la foule (surtout des technicos et des bureaucrates du Réseau) commençait sa quête quotidienne de plaisirs. En face, un dealer certifié vantait sa marchandise. Un homme passa, une poupée en vison à chaque bras. Le trio riait bruyamment.

Pris d’une soudaine nostalgie, il pensa à Sheila et Cathy. S’il pouvait leur téléphoner, au moins... Ce n’était sans doute pas autorisé. Evidemment, il pouvait s’en aller ; plusieurs l’avaient déjà fait. Il suffisait de franchir la porte marquée SORTIE. Regagner le logement, revoir sa fille qui délirait de fièvre ? Non, pas question.

Il resta encore un moment à la fenêtre, puis retourna s’asseoir. Un nouveau Jeu commençait 
: Creusez votre tombe
.

L’homme assis à la droite de Richards le tira par la manche.

— C’est vrai qu’ils en éliminent plus de trente pour cent rien qu’à l’examen médical ? demanda-t-il avec anxiété.

— Aucune idée, répondit Richards.

— Quelle misère ! dit l’autre. J’ai une bronchite chronique. Peut-être
Le Moulin de la fortune
... ?

Richards ne trouva rien à répondre. En respirant, le type faisait un bruit de vieux camion gravissant une colline.

— J’ai une famille, moi, ajouta l’homme avec une résignation désespérée.

Richards regarda le Libertel comme si cela l’intéressait.

L’autre garda longtemps le silence. Lorsque le programme changea de nouveau à 7 h 30, Richards l’entendit interroger son voisin de droite.

Il faisait complètement nuit. Richards se demanda s’il pleuvait toujours. La soirée risquait d’être longue.

Compte à rebours...
095

Lorsque les« R » franchirent la porte surmontée de la flèche rouge, il était un peu plus de 9 h 30. Avec le temps, les hommes s’étaient calmés. La plupart regardaient passivement le Libertel, ou bien somnolaient. L’homme à la bronchite avait un nom commençant par L : il était passé plus d’une heure auparavant. Richards se demanda s’il avait été éliminé.

La salle d’examen, très longue, était éclairée par des tubes fluorescents qui se reflétaient sur le carrelage blanc. Les médecins étaient placés à intervalles réguliers, comme sur une chaîne de montage.

« L’un de vous viendrait-il soigner ma petite fille ? » pensa Richards avec amertume.

Les candidats montrèrent leur carte à une autre caméra scellée dans le mur, près d’un vestiaire. Un médecin en longue blouse blanche arriva.

— Déshabillez-vous. Mettez vos vêtements dans un casier. Souvenez-vous du numéro du casier et annoncez-le à l’assistant quand vous aurez terminé. Vous pouvez sans crainte laisser vos objets de valeur. Ici, personne ne les volera.

« Objets de valeur... Elle est bien bonne », se dit Richards en déboutonnant sa chemise. Dans ses poches, il n’avait qu’un portefeuille vide, quelques photos de Sheila et de Cathy, une facture de cordonnier vieille de six mois, un porte-clefs avec une seule clef, celle du logement, une chaussette de bébé (que faisait-elle là ?) et le paquet de Blams qu’il avait pris au distributeur.

Il portait un caleçon tout déchiré ― Sheila tenait absolument à ce qu’il en mît un ― mais la plupart des hommes n’avaient rien sous leur pantalon. Ils se remirent en file, nus et anonymes, leurs pénis se balançant tristement entre leurs jambes, pareils à des massues inutiles. Chaque homme tenait sa carte à la main. Une légère et nostalgique odeur d’alcool emplissait l’air.

— Restez en ligne, disait le docteur. Montrez toujours votre carte, suivez les instructions.

La file avança. Richards vit que chaque médecin était accompagné d’un policier. Il baissa les yeux et attendit passivement.

— Carte.

Il tendit sa carte. Le premier docteur nota le numéro.

— Ouvrez la bouche.

Richards ouvrit la bouche. Le docteur abaissa sa langue avec une spatule.

Le docteur suivant examina ses pupilles à l’aide d’une vive lumière, puis regarda dans ses oreilles.

Le suivant posa le rond froid d’un stéthoscope sur sa poitrine.

— Toussez.

Richards toussa. Un peu plus loin, les flics entraînaient un homme. Ils ne pouvaient pas lui faire ça, protestait-il. Il avait besoin d’argent. Il allait saisir son avocat...

Le docteur déplaça le stéthoscope.

— Toussez.

Richards toussa. Le docteur le fit tourner sur lui-même et posa le stéthoscope sur son dos.

— Inspirez profondément et retenez votre souffle. (Le stéthoscope se déplaça.)

— Expirez.

 (Richards expira.)

— Avancez.

Un petit médecin tout souriant, avec un bandeau noir sur l’œil gauche, prit sa tension. Un autre, chauve et obèse, qui avait de grosses taches brunes sur le crâne, plaça une main entre ses cuisses.

— Toussez.

(Richards toussa.)

— Avancez.

On lui prit sa température. Puis il dut cracher dans un bol. Il arrivait à mi-chemin. Trois ou quatre hommes avaient fini ; un assistant leur amenait les casiers contenant leurs vêtements. Six ou sept autres furent dirigés vers la sortie avant d’être arrivés au bout.

— Penchez-vous en avant et écartez les fesses.

Un doigt ganté de plastique explora son rectum puis se retira.

— Avancez.

Il entra dans une cabine (elle ressemblait tout à fait à un isoloir du
XX
e
siècle ; depuis l’introduction du vote électronique, il n’y en avait plus, bien entendu) et urina dans un récipient de plastique bleu, que le médecin numérota et rangea dans un casier.

Ensuite, il se trouva face à un tableau plein de lettres.

— Lisez, dit le docteur.

— E-A, L-D, M, F-S, P, M, Z-K, L, A, C...

— Suffit. Avancez.

Il entra dans un autre « isoloir » et coiffa un casque. Un docteur lui dit d’appuyer sur un bouton blanc dès qu’il entendrait quelque chose, et sur un bouton rouge quand il n’entendrait plus rien. Le son était faible et très aigu, comme un gémissement de chien à la limite des ultrasons. Richards appuya sur les boutons jusqu’à ce que le docteur lui dise d’arrêter.

On le pesa. On examina la plante de ses pieds. Un docteur qui mâchait sans relâche du chewing-gum en fredonnant quelques notes le plaça devant un fluoroscope et prit plusieurs clichés.

Richards était arrivé avec un groupe d’une trentaine de candidats. Douze étaient arrivés au bout. Une douzaine d’autres avaient été éliminés. L’un d’eux s’était précipité sur le médecin qui l’avait rejeté. Aussitôt, un flic lui avait flanqué une décharge d’aiguillon électrique ; l’homme était tombé raide.

Le docteur suivant, installé à une table basse, lui demanda s’il avait eu toute une série de maladies, la plupart respiratoires. Le docteur sursauta lorsque Richards lui dit qu’il y avait un cas d’influenza dans sa famille.

— Votre femme ?

— Non, ma fille.

— Age ?

— Un an et demi.

— Avez-vous été immunisé ? Ne mentez pas ! Nous avons les moyens de vérifier !

Le docteur avait presque crié, comme si Richards avait déjà essayé de mentir.

— Immunisé juillet 2023. Rappel septembre 2023. Clinique de quartier.

— Avancez.

Au dernier arrêt, une femme à l’expression sévère, aux cheveux coupés très court, portant une prothèse auditive, commença par lui demander s’il était homosexuel.

— Non.

— Avez-vous jamais été arrêté pour délit sexuel ?

— Non.

— Souffrez-vous de phobies graves ? Je veux dire par là...

— Non.

— Attendez que je vous explique, dit-elle avec une pointe de condescendance. Cela signifie...

— Si j’ai des peurs inexpliquées et incontrôlables, comme l’acrophobie ou la claustrophobie ? Non, je n’en ai pas.

La femme médecin le toisa un moment, puis continua le questionnaire.

— Avez-vous pris des drogues hallucinogènes ou d’autres stupéfiants entraînant une accoutumance ?

— Non.

— Un quelconque membre de votre famille a-t-il été arrêté pour crime contre le gouvernement ou contre le Réseau ?

— Non.

— Signez ce serment de fidélité et cette décharge au bénéfice de la Commission des Jeux, M. ... Richards.

Il griffonna sa signature.

— Montrez votre carte à l’assistant et donnez-lui le numéro...

Sans attendre qu’elle eût terminé, il fit signe à l’assistant.

— Numéro vingt-six, mon pote.

L’assistant, un grand gaillard maigre aux dents saillantes, lui apporta ses affaires. Richards s’habilla sans se presser et alla attendre devant l’ascenseur. Il avait une curieuse sensation à l’anus, comme si le docteur l’avait violé avec son doigt enduit de vaseline.

Lorsqu’ils furent tous assemblés, les portes de l’ascenseur s’ouvrirent. Cette fois, il n’y avait pas de flic armé au fond. Tandis qu’elles se refermaient, Richards vit les « S » arriver à l’autre bout de la salle, et le médecin en blouse blanche s’approcher d’eux.

Ils montèrent de nouveau d’un seul étage. Les portes s’ouvrirent sur un immense dortoir faiblement éclairé : des rangées de lits de camp qui semblaient s’étendre à l’infini.

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