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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

La Révolution des Fourmis (91 page)

BOOK: La Révolution des Fourmis
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— Tu es dans la cheminée, 103
e
, cette fois
je te tiens, maudite fourmi ! clama Maximilien en balayant l’intérieur de
sa cheminée du faisceau de sa lampe de poche.

La fourmi s’éleva dans l’immense tunnel vertical, foulant au
passage de la suie.

Maximilien voulut encore lancer sur elle un nuage
d’insecticide mais sa bombe était vide. La cheminée étant suffisamment large
dans sa partie inférieure pour laisser passer un corps humain adulte, il décida
de l’escalader pour aller aplatir 103
e
. Tant qu’il ne verrait pas le
corps de ce fichu insecte réduit en miettes, il ne serait sûr de rien.

L’humain s’agrippa aux vieilles pierres, ses deux troupeaux
de cinq doigts s’informant mutuellement de leur progression par l’entremise du
central de communication cérébral. Derrière, encore plus maladroits dans la
prison des chaussures, ses pieds cherchaient des appuis.

Cependant, plus le conduit se rétrécissait, plus il était
facile d’y grimper. En se calant avec ses coudes et ses genoux, Maximilien
avançait sans problème, tel un bon alpiniste.

Reine 103
e
ne s’était pas attendue qu’il la
suive. Elle monta plus haut. Il monta aussi. La fourmi percevait l’odeur
huileuse des Doigts à sa poursuite. Pour les fourmis, les Doigts sentent
l’huile de marron.

Maximilien haletait. Grimper à quatre pattes dans une
cheminée verticale, ce n’était vraiment plus de son âge. Il éclaira le haut du
conduit et crut discerner deux minuscules antennes qui semblaient le narguer.
Il s’éleva encore de quelques centimètres. La cheminée se rétrécissait de plus
en plus et il avait du mal à y enfoncer tout son corps à la fois. D’abord il
envoya son flanc droit, puis, quand celui-ci fut bloqué, son épaule droite et,
son épaule à son tour coincée, il lança son bras droit en hauteur.

Reine 103
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se calfeutra au creux d’une brique que
Maximilien aussitôt éclaira. L’abri était difficile d’accès mais il n’allait
pas laisser 103
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s’échapper après s’être donné tout ce mal. Son bras
ne pouvant plus avancer, il envoya son poignet à l’attaque.

La fourmi recula. Un Doigt approchait et elle était dans un cul-de-sac.

— Je te tiens, maintenant, marmonna Maximilien en
serrant les mâchoires.

Il avait l’impression d’avoir frôlé la fourmi et regrettait
de n’avoir pas frappé plus fort. Il enfonça son index dans la cavité mais Reine
103
e
effectua un petit saut de côté et mordit le doigt jusqu’au sang
avec ses mandibules.

— Aïe !

Le sang perla sur la blessure minuscule. La fourmi savait
qu’elle n’avait plus maintenant qu’à tirer de l’acide dans la plaie. Comme elle
avait, spécialement pour cette occasion, gonflé sa glande abdominale d’acide
concentré à 70 %, le jet pourrait être suffisamment corrosif pour
provoquer une réaction.

Reine 103
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se mit en position de tir et rata sa
cible. Son venin s’écrasa contre l’ongle sans susciter le moindre dégât. Le
doigt fouetta l’air. Coincée qu’elle était au fond de sa cachette, le combat
était désormais presque égal.

Elle n’était plus qu’une petite fourmi fatiguée contre un
index virulent. Les armes de la fourmi : sa poche de tir abdominal gorgée
d’acide formique et le tranchant de ses minuscules mandibules.

Les armes du Doigt : le tranchant de son ongle, le plat
de son ongle et la puissance de ses muscles.

Maximilien souffla sous l’effort. Il voulut envoyer d’autres
doigts à la rescousse de son index. Il s’écorcha la main mais parvint à
introduire quatre doigts dans le creux de la brique.

Duel. Comme une grosse pieuvre sortie du roman de Jules
Verne
Vingt mille lieues sous les mers
, la main de Maximilien Linart
cherchait à assommer son petit adversaire en fouettant l’air en tous sens.

La fourmi était à la fois admirative et apeurée face à cette
redoutable main de combat. Vraiment, les Doigts ne mesuraient pas leur chance
de posséder de tels appendices ! Elle esquiva de son mieux les longs
tentacules roses qui se déployaient pour l’écraser. Elle tira plusieurs salves,
sans réussir à toucher sa cible rouge. Elle décida donc de multiplier les
plaies. Elle entailla la chair rose d’autres infimes estafilades.

Les Doigts devenaient de plus en plus nerveux mais ne
renonçaient pas. La fourmi avait sous-estimé leur acharnement. Elle reçut une
tape en pleine face et fut projetée contre le fond de son refuge.

La main était déjà armée pour une nouvelle pichenette. Index
complètement recourbé, il suffisait que le pouce le libère pour qu’il parte
fort et droit.

Mon seul véritable ennemi est la peur
.

Elle pensa à Prince 24
e
, son époux d’un jour. Il
l’avait ensemencée. Bientôt, elle pondrait. Il était mort pour elle. Rien que
pour lui, elle devait survivre.

Elle repéra l’entaille la plus large et, de toutes ses
forces, elle y expédia son venin.

Sous la brûlure, l’homme eut un infime mouvement de recul,
il perdit l’équilibre, chuta lourdement et s’effondra dans les cendres. Il
resta là, les vertèbres cervicales brisées.

Fin du duel. Aucune caméra n’avait filmé l’exploit. Qui
pourrait y croire un jour ? Une fourmi, une toute petite fourmi, avait
vaincu Goliath.

Elle lécha ses blessures. Puis, comme à son habitude après
les combats, elle procéda à un rapide nettoyage : elle lécha ses antennes,
elle en lissa les poils, elle lécha ses pattes et se remit de ses émotions.

Maintenant, il fallait terminer le travail. Si d’ici
quelques minutes Mac Yavel ne recevait pas son code, il déclencherait les
bombes incendiaires.

Tandis qu’elle courait, elle aperçut une ombre qui la
poursuivait. Elle se retourna et vit un gigantesque monstre volant. Il était
enveloppé d’ailes fines, longues et molles dont les couleurs carmin et noir
ajoutaient à l’aspect effrayant. 103
e
sursauta de peur. Ce n’était
pas un oiseau. L’animal était doté de gros yeux globuleux qui pivotèrent en
tous sens pour finalement se fixer sur la fourmi. Il ouvrit la bouche et des
bulles inodores s’élevèrent vers le ciel.

Un poisson.

Assez rêvassé.

Elle retourna à l’attaque de l’ordinateur. Il y avait encore
des relents d’insecticide à l’intérieur mais c’était supportable.

Mac Yavel tenta de lui envoyer de petites décharges
électriques afin de l’électrocuter mais la fourmi sautilla pour éviter ces
pièges. Elle se concentra sur sa tâche prioritaire : couper les fils
reliés à l’émetteur radio commandant les bombes.

Ne pas se tromper. Surtout ne pas se tromper de fil
.

Une seule erreur et, au lieu de désamorcer, elle
déclencherait le désastre. Épuisées par le duel à mort, ses mandibules
tremblaient. L’air imprégné de poison l’empêchait de réfléchir sereinement. La
fourmi longea un chemin de cuivre aussi fin que l’un de ses poils. Elle compta
trois microprocesseurs, tourna à un carrefour bourré de résistances et de
condensateurs. Ses instructions étaient de trancher le quatrième fil du fond.

Elle tenailla la gaine de plastique, puis le cuivre et
distilla du venin dessus. Mais alors qu’elle était à la moitié de la découpe,
elle se dit que, non, ce n’était pas là le quatrième mais l’un des deux autres
qui le jouxtaient.

Mac Yavel déclencha le ventilateur de refroidissement pour
aspirer et broyer l’insecte dans les pales. Tempête !

Pour ne pas être emportée par cette bourrasque, Reine 103
e
s’arrima aux composants. Après avoir vaincu l’homme, il lui fallait vaincre la
machine. Dans un bourdonnement, Mac Yavel entama son compte à rebours qui
ferait exploser les bombes dans la forêt.

Le compteur numérique était devant la fourmi, l’éclairant
des formes rouges de chacun de ses chiffres.

10, 9, 8,… Il ne restait plus que deux fils mais,
pour la fourmi, avec sa vision infrarouge, le vert et le rouge apparaissaient
tous deux marron clair.

7,… 6,… 5,…

La reine trancha l’un des deux au hasard. Le compte à
rebours continuait.

Ce n’était pas le bon fil !

Vite elle entailla de manière désespérée le dernier.

4,… 3,… 2,…

Trop tard ! le fil n’était qu’à moitié coupé. Pourtant,
le compte à rebours s’arrêta sur 2. Mac Yavel venait de tomber en panne.

La fourmi regarda, ébahie, le compteur bloqué sur le chiffre
deux.

Il se produisit en 103
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quelque chose
d’inattendu, une pression piquante qui montait dans son cerveau. Peut-être dû à
toutes les émotions qu’elle avait connues jusqu’à cet instant, un mélange
phéromonal bizarre était en train de donner naissance à une molécule inconnue
dans son esprit. Reine 103
e
était incapable de maîtriser ce qui lui
arrivait. La pression montait, pétillait, irrépressible, mais pas du tout
désagréable.

Toutes les tensions issues des dangers traversés se mirent à
disparaître les unes après les autres, comme par enchantement.

La pression gagnait maintenant ses antennes. Cela
ressemblait à ce qu’elle avait ressenti lorsqu’elle avait fait l’amour avec 24
e
.
Ce n’était pas de l’amour. C’était, c’était…

L’humour !

Elle éclata de rire, ce qui chez elle se manifesta par des
hochements de tête incontrôlables, l’émission d’un peu de bave et des
tremblements de mandibules.

 

239. ENCYCLOPÉDIE

 

HUMOUR
 : Le seul cas d’humour animal recensé dans les
annales scientifiques a été rapporté par Jim Anderson, primatologue à
l’université de Strasbourg. Ce scientifique a consigné le cas de Koko, un
gorille initié au langage gestuel des sourds-muets. Un expérimentateur lui
demandant un jour de quelle couleur était une serviette blanche, il fit le
geste signifiant « rouge ». L’expérimentateur répéta la question en
brandissant dûment la serviette devant les yeux du singe, obtint la même
réponse et ne comprit pas pourquoi Koko s’obstinait dans son erreur. L’humain
commençant à perdre patience, le gorille s’empara de la serviette et lui montra
le petit ourlet rouge tissé sur son rebord. Il présenta alors ce que les
primatologues appellent « la mimique du jeu », c’est-à-dire un
rictus, babines retroussées, dents de devant exhibées, yeux écarquillés.
Peut-être s’agissait-il d’humour…

 

Edmond Wells,

Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu
, tome III.

 

240. RENCONTRE AVEC QUELQU’UN D’ÉTONNANT

 

Les doigts s’entremêlèrent. Les danseurs enlacèrent
fermement leurs cavalières.

Bal au château de Fontainebleau.

En l’honneur du jumelage de la ville avec la cité danoise
d’Esjberg, il y avait fête en la demeure historique. Échange de drapeaux,
échange de médailles, échanges de cadeaux. Représentations de danses
folkloriques. Chorales locales. Présentation du panneau :
« FONTAINEBLEAU — HACHINOÉ — ESJBERG : VILLES
JUMELÉES », qui marquerait désormais l’entrée des trois lieux.

Dégustation enfin d’aquavit et d’eau-de-vie de prune
française.

Des voitures arborant les drapeaux des deux nations se
garaient encore dans la cour centrale et des couples de retardataires en
sortaient, en vêtements de gala.

Des officiels danois faisaient la courbette à leurs
homologues français, lesquels leur serraient la main. Puis on échangeait
sourires, cartes de visite et on se présentait les épouses.

L’ambassadeur du Danemark s’approcha du préfet et lui glissa
à l’oreille :

— J’ai vaguement suivi cette histoire de procès de
fourmis. Comment ça a fini, au juste ?

Le préfet Dupeyron cessa de sourire. Il se demandait à quel
point son interlocuteur avait suivi l’affaire. Il avait dû lire probablement un
ou deux articles dans les journaux. Il éluda.

— Bien. Bien. Merci de vous intéresser à nos affaires
locales.

— Mais pouvez-vous m’en dire plus, est-ce que les gens
de la pyramide ont été condamnés ?

— Non, non. Les jurés ont été très cléments. On leur a
juste demandé de ne plus construire de maison en forêt.

— Mais l’on m’a dit qu’on parlait aux fourmis avec une
machine ?

— Ce sont des exagérations de journalistes. Ils se sont
laissé berner et puis vous savez comment ils sont : prêts à monter
n’importe quelle histoire en épingle pour vendre leurs feuilles de chou.

L’ambassadeur du Danemark insista.

— Mais, quand même, il y avait bien une machine qui
permettait de parler en transformant les phéromones des fourmis en paroles
humaines.

Le préfet Dupeyron éclata de rire.

— Ah ! vous y avez cru vous aussi ? C’était
un pur canular. Un aquarium, une fiole, un écran d’ordinateur. Cette machine ne
fonctionnait pas. C’était l’un de leurs comparses qui, placé à l’extérieur,
répondait en se faisant passer pour une fourmi. Les gens naïfs y ont peut-être
cru mais l’affaire a été éventée.

Le Danois se servit un canapé au hareng sucré qu’il happa
avec un verre d’alcool.

— La fourmi ne parlait donc pas ?

— Les fourmis parleront le jour où les poules auront
des dents !

— Hmm…, dit l’ambassadeur, il paraît que les poules
sont des descendantes lointaines des dinosaures, elles ont donc peut-être déjà
eu des dents…

La conversation agaçait de plus en plus le préfet. Il tenta
de s’esquiver. Mais l’ambassadeur lui prit le bras et insista :

— Et cette fourmi 103
e
 ?

— Après le procès, toutes les fourmis ont été relâchées
dans la nature. Nous n’allions pas nous ridiculiser en condamnant des
fourmis ! Elles se feront normalement écraser par les enfants et les
promeneurs.

Autour d’eux, de plus en plus de gens déployaient l’antenne
de leur téléphone portable. Chacun, grâce à ces antennes artificielles,
dialoguait en permanence ailleurs, tout en restant là.

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