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Authors: Richard Bachman

Tags: #Fiction, #Horror, #Thrillers, #General, #sf

The Running Man (10 page)

Alors qu’il regagnait sa chambre, un homme affligé d’un bec-de-lièvre lui donna un prospectus.

Richards s’assit sur son lit et alluma une cigarette. Il avait faim, mais ne voulait pas sortir avant la nuit. L’ennui le poussa de nouveau vers la fenêtre.

Il compta les marques de voitures ― Ford, Chevrolet, Wint, VW, Plymouth, Studebaker, Rambler-Suprême. Puis il compta le nombre de voitures de chaque marque : la première qui arrive à cent est proclamée gagnante. Un jeu stupide, mais c’était mieux que rien.

En haut de Huntington Avenue, se trouvait la Northeastern University. Juste en face du Y.M.C.A., il y avait une grande librairie automatisée. Tout en comptant les voitures, il observa les étudiants, qui étaient nombreux dans la foule. Ils avaient les cheveux plus courts que les autres gens, et portaient presque tous des pulls à carreaux ; ça devait être en vogue dans les campus cette année. Leur assurance teintée de supériorité fit venir un sourire amer aux lèvres de Richards. Dans les parkings limités à cinq minutes situés dans la librairie, les voitures de sport (souvent de flamboyants modèles étrangers) se succédaient sans relâche. Beaucoup avaient des autocollants sur la lunette arrière : Northeastern, M.I.T., Boston College, Harvard. La plupart des passants « ordinaires » ne prenaient pas garde aux luxueuses voitures ; quelques-uns les lorgnaient avec envie.

Juste devant l’entrée de la librairie, une Wint fut remplacée par une Ford à la carrosserie surbaissée, qui attendait la place. Le conducteur, un type aux cheveux coupés en brosse qui fumait un long cigare, mit au point mort pendant que son passager descendait : un gars râblé, vêtu d’une veste de chasse marron et blanc. Il entra dans la librairie. Ses mouvements étaient souples et rapides.

Richards soupira. Pas très amusant, de compter les voitures. Les Ford arrivaient en tête par 78 à 40 pour leur meilleur concurrent. Le score final était aussi prévisible que celui des prochaines élections.

On frappa à la porte. Richards se raidit, comme frappé par la foudre.

— Frankie ? Tu es là ? Frankie ?

Une voix de femme. Le cœur battant, Richards retint son souffle.

— Va te faire foutre, Frankie !

Un ricanement d’ivrogne, puis des bruits de pas. La créature frappa à la porte voisine.

— Frankie, tu es là ?

Richards osa enfin respirer. Mais il avait toujours une boule douloureuse dans la gorge.

Une autre Ford prit la place de la précédente. 79. Merde.

Le temps passait lentement. Une heure de l’après-midi. Il le savait grâce aux carillons de diverses horloges. Curieusement, l’homme qui luttait contre la montre n’avait pas de montre.

Il jouait maintenant à une variante du même jeu. Les Ford comptaient pour deux points ; les Studebaker, pour trois ; les Wint, pour quatre. Le premier qui totalise cinq cents points gagne.

Un petit quart d’heure plus tard, il revit le mec en veste de chasse blanc et marron. Adossé à un lampadaire, il regardait une affiche de concert. Il ne bougeait pas, mais le policier posté à proximité ne lui accordait même pas un regard.

Tu as la cervelle ramollie, mon petit. Tu vas finir par les voir à tous les coins de rues
. Une Wint avec un pare-chocs tout bosselé. Une Ford jaune. Une vieille Stud avec son cylindre d’air comprimé sur le toit. Une VW ― ça ne compte pas, elles ne font pas partie du peloton de tête. Encore une Wint. Une Stud...

Un homme fumant un long cigare attendait nonchalamment à l’arrêt de bus situé à gauche de la librairie. Il était le seul à attendre. Et pour cause. Un bus venait juste de passer ; à force d’observer la circulation, Richards savait qu’il n’y en aurait pas d’autre avant une demi-heure.

Richards sentit ses testicules se glacer.

Un vieil homme portant un raglan noir élimé traversa prudemment la rue et se posta devant le bâtiment, les mains dans les poches.

Deux types en pulls écossais descendirent d’un taxi en parlant avec animation, et se mirent à étudier le menu du restaurant
Stockholm
.

Un flic s’approcha de l’homme qui attendait à l’arrêt de bus, échangea quelques mots avec lui, puis repartit.

Richards remarqua avec une terreur qui n’osait pas encore dire son nom que les mêmes personnes, marchant plus lentement que les autres, revenaient souvent dans la foule. Leurs vêtements, leur attitude semblaient vaguement familiers, comme les voix lointaines des morts dans les rêves.

Il y avait également davantage de policiers.

« Ils sont en train de me cerner », pensa-t-il, se sentant effroyablement impuissant, comme un lapin le jour de l’ouverture.

Non
, se corrigea-t-il. Ils m’ont
déjà
cerné.

Compte à rebours...
070

Richards sortit de la chambre et gagna rapidement les toilettes, ignorant sa terreur comme un homme qui longe un précipice ignore son vertige. Avant tout, garder la tête froide. S’il cédait à la panique, il était fichu.

Dans la douche, une voix éraillée chantait (abominablement faux) une chanson à la mode. Ailleurs, il n’y avait personne.

L’idée lui était venue tout naturellement, alors qu’il les regardait s’assembler avec une sinistre désinvolture. S’il n’y avait pas pensé il serait sans doute toujours à la fenêtre, pareil à Aladin regardant la fumée de la lampe prendre peu à peu la forme d’un djinn omnipotent. Quand il était gosse, il avait utilisé ce truc avec des copains pour aller dans les sous-sols des immeubles. Ils y récupéraient des vieux journaux, que Molie leur achetait cinq
cents
le kilo.

D’un geste sec, il arracha un des porte-savons en fil de fer fixés au-dessus des lavabos. Il était un peu rouillé, mais c’était sans importance. Il sortit dans le couloir et alla droit vers l’ascenseur, tout en redressant une section du fil de fer.

Il appuya sur le bouton. L’ascenseur mit une éternité à arriver. Mais il était vide. Dieu merci, il était vide !

Après s’être assuré qu’il n’y avait personne dans le couloir, il entra dans la cabine. A côté du bouton marqué « sous-sol », il y avait une fente ; le concierge et le gardien possédaient une carte électronique spéciale qui permettait de déclencher ce bouton.

Et si ca ne marche pas ?

T’occupe pas de ça maintenant. Essaie et tu verras bien.

Se raidissant (une décharge électrique n’était pas exclue), il enfonça le fil de fer dans la fente, le plus profondément possible, et appuya simultanément sur le bouton.

Il y eut un grésillement rageur, et Richards sentit une petite secousse dans le bras. Puis, pendant un bon moment, rien d’autre. Finalement, la porte se ferma et l’ascenseur se mit laborieusement en marche, tandis qu’un mince filet de fumée bleuâtre sortait de la fente.

Adossé au fond de l’ascenseur, Richards regarda les chiffres défiler sur le petit panneau lumineux. 4... 3... 2... 1... A « R », l’ascenseur hésita, comme s’il allait s’arrêter, puis (estimant peut-être qu’il avait assez fait peur à Richards) continua à descendre avec un grincement de poulies mal huilées. Vingt secondes après, la porte s’ouvrit, et Richards pénétra dans le vaste sous-sol sombre, et humide. Il tendit l’oreille. Un bruit d’eau qui goutte. Un rat qui détale furtivement. Rien d’autre. Pour le moment.

Compte à rebours...
069

De gros tuyaux couverts de toiles d’araignées couraient en tous sens au plafond. Lorsque la chaudière se mit brusquement en marche, il faillit pousser un cri de terreur. La décharge d’adrénaline le fit se plier en deux de douleur.

Ici aussi, il y avait des journaux. Plein de gros paquets maintenus par une ficelle, entre lesquels les rats avaient fait leurs nids. Il devait y en avoir des milliers. Des familles entières regardaient l’intrus de leurs petits yeux rougeâtres.

Il s’avança sur le sol de ciment, prenant garde à ne pas mettre les pieds n’importe où. Arrivé à peu près au centre de la cave, il s’arrêta pour examiner les lieux. Un peu plus loin, une grosse boîte à fusibles était fixée à un poteau en béton. Au pied de celui-ci, étaient posés quelques vieux outils. Il prit une barre à mine et continua à avancer, les yeux fixés au sol.

Tout au fond et sur sa gauche, il aperçut enfin ce qu’il cherchait. Le regard conduisant aux égouts. Il s’en approcha, tout en se demandant si les autres savaient déjà qu’il était ici.

Le regard était couvert d’une lourde grille en fonte. En faisant levier avec la barre, il parvint à la soulever. Maintenant la barre avec le pied, il empoigna le rebord de la grille des deux mains et réussit à la pousser de côté. Elle retomba sur le ciment avec bruit, faisant détaler des rats de tous côtés.

Le tuyau de fonte descendait à un angle de quarante-cinq degrés. Sa section ne devait pas être supérieure à soixante-quinze centimètres. Richards sentit un affreux sentiment de claustrophobie l’envahir. Tout juste assez large pour s’y glisser. Il se sentait déjà étouffer. Mais il n’avait pas le choix.

S’arc-boutant de toutes ses forces, il remit la grille sur le bord de l’orifice, de façon à pouvoir la saisir quand il serait à l’intérieur. Ensuite, il retourna au pilier où se trouvait la boîte à fusibles. Il commençait à retirer ces derniers lorsqu’une autre idée lui vint.

Il alla vers les paquets de journaux jaunis, entassés sur toute la longueur du mur où arrivait l’ascenseur. Il trouva la pochette d’allumettes toute racornie avec laquelle il avait allumé ses cigarettes. Il en restait trois. Il arracha deux feuilles de journal et les enroula en cornet. Un courant d’air éteignit aussitôt la première allumette. La seconde échappa à ses doigts tremblants et tomba sur le sol humide.

Il réussit à allumer la troisième et enflamma la torche de papier. Lorsque la flamme jaune et fumante eut une vingtaine de centimètres de haut, il posa précautionneusement la torche entre deux tas de journaux. Le réservoir de fuel du chauffage central était à quelques pas. Avec un peu de chance, il exploserait.

Il retourna en courant à la boîte à fusibles et se mit à les arracher. Il était presque arrivé au bout lorsque la lumière s’éteignit dans le sous-sol. Il gagna à tâtons le regard, se guidant à la lumière dansante de l’incendie qui s’étendait lentement.

Il s’assit sur le bord, les pieds ballants, puis se laissa glisser à l’intérieur, en se retenant à la grille. Lorsqu’il fut assez bas, il cala ses genoux contre la paroi et s’efforça de remettre la grille en place. Dans cet espace exigu, cela lui demanda un effort gigantesque. Il arriva finalement au bout de ses peines – la grille retomba avec un bruit sourd qui se répercuta dans les canalisations. La lumière de l’incendie, de plus en plus vive, projetait des ombres fantomatiques. Une odeur de fumée commençait à emplir l’air.

Les épaules, la nuque et les mains endolories, il se laissa glisser plus bas, aidé par la boue visqueuse qui recouvrait le tuyau. Au bout de trois à quatre mètres, ses pieds touchèrent le fond. Il avait atteint l’endroit où la canalisation devenait horizontale. Mais le coude était si raide et si étroit qu’il paraissait impossible de passer.

L’affreuse claustrophobie s’empara de nouveau de lui.
Prisonnier
, balbutiait son esprit.
Prisonnier dans cet immonde tuyau, prisonnier, prisonnier, prisonnier...

Il se reprit énergiquement en main.

Allons, calme-toi C’est horrible, je sais, tous les poncifs du roman d’épouvante y sont. Mais il faut rester calme. Très, très calme. Si on reste coincé ici sans pouvoir descendre ni remonter, et que ce foutu réservoir explose, on va se faire rôtir...

Lentement, il commença à se retourner pour se mettre à plat ventre dans le tuyau incliné. Il faisait très clair, maintenant, et l’air devenait de plus en plus chaud.

En repliant les genoux, il parvint à glisser ses jambes et ses cuisses dans la section horizontale du tuyau. Ça ne suffisait pas. Ses fesses restaient bloquées.

Derrière le crépitement des flammes, il crut entendre des voix crier des ordres. Peut-être était-ce son imagination enfiévrée. Le mieux était de ne pas en tenir compte.

Par petites secousses successives, il réussit à gagner un peu de terrain. Péniblement, il dégagea ses bras et les leva au-dessus de sa tête, mais ils avaient peu de prise sur la surface gluante. Cela lui permit de gagner encore quelques centimètres.

Sur le point de perdre courage ― peut-être était-ce réellement trop étroit ― il fit un ultime effort, crispant douloureusement tous ses muscles. Soudain, ses fesses et ses hanches franchirent l’obstacle, comme un bouchon de champagne expulsé de l’étroit goulot. Au prix de quelques bleus et égratignures, ses épaules passèrent aussi, et il se retrouva dans le tuyau horizontal. Il s’immobilisa un moment, haletant, les mains et le visage couverts de boue et de crottes de rats.

La partie horizontale semblait encore plus étroite. A chaque respiration, son torse et ses épaules touchaient la paroi.

Dieu merci, je suis sous-alimenté !

A reculons, il commença à ramper dans les ténèbres inconnues.

Compte à rebours...
068

Lentement, méthodiquement, se reposant toutes les minutes, il avança (ou plutôt, recula) d’une cinquantaine de mètres dans l’étroit boyau, aussi aveugle qu’une taupe. Sa pénible reptation fut soudain interrompue par un fracas assourdissant, accompagné d’un éclair jaune et suivi d’un souffle d’air chaud et puant qui s’engouffra en grondant dans le conduit. Le réservoir de fuel avait explosé.

Le visage couvert de sueur, Richards redoubla d’efforts. Il n’avait aucune envie d’étouffer ou de frire ici ― au choix. Conduisant la chaleur comme la queue d’une poêle, les parois du tuyau devenaient de plus en plus chaudes. L’air épais avait une écœurante odeur de pétrole.

S’aidant des coudes et des genoux, il continua à avancer comme un crabe, sans même savoir ce qu’il y avait derrière lui. Il commençait à avoir mal à la tête, et sentait comme des coups de poignard dans les yeux. Poussé par l’énergie du désespoir, il ne s’accordait pas un instant de répit.

Soudain, ses pieds se retrouvèrent dans le vide. Il essaya de regarder par-dessus son épaule, mais il faisait trop sombre pour y voir quoi que ce soit. De toute façon, il n’avait pas le choix.

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